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il, parmi les Apôtres, comme l’extrémité basse de la robe. Mais pareille à la femme qu’affligeait une perte de sang, l’Eglise des Gentils le toucha et fut guérie[1].


3. Aussi, mes frères, je vous l’ai dit, je le répète, et si je le pouvais, je le redirais sans cesse : Occupez-vous, et que vos œuvres soient, tantôt d’une nature, tantôt d’une autre, selon le temps, les heures et les jours. Est-il possible de toujours parler ? de toujours se taire ? de toujours réparer ses forces ? de toujours jeûner ? de toujours donner du pain aux malheureux ? de toujours vêtir ceux qui sont nus ? de toujours visiter les malades ? de toujours rétablir l’accord entre les dissidents ? de toujours ensevelir les morts ? A ce moment-ci, une occupation ; à ce moment-là, une autre. Nos actions commencent et finissent ; mais le maître, qui les inspire, ne commence ni ne doit cesser d’agir. La charité ne doit pas avoir en vous d’intermittence : les œuvres qui en découlent doivent se montrer au moment opportun : donc, comme il est écrit, « que la charité fraternelle demeure toujours en vous[2] ».


4. Il en est peut-être parmi vous pour s’étonner de ce que, depuis le premier mot de l’épître que nous vous expliquons, le bienheureux Jean ne nous a rien recommandé aussi expressément que la charité fraternelle. Il dit : « Celui qui aime son frère[3] » ; et encore : « Un commandement nous a été donné, c’est de nous aimer les uns les autres[4] ». Continuellement il nous a parlé de la charité fraternelle : pour l’amour de Dieu, c’est-à-dire, pour cet amour que nous devons avoir pour pieu, il n’en a point parlé aussi souvent ; et cependant il n’a, pas tout à fait gardé le silence à son égard. Quant à l’amour des ennemis, il n’y a, à vrai dire, fait presque aucune allusion dans le cours de cette épître. En nous prêchant, en nous recommandant vivement la charité, il ne nous dit pas d’aimer nos ennemis, mais il nous dit d’aimer nos frères. Lorsque, tout à l’heure, on nous a lu l’Evangile, nous avons entendu ces paroles : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi[5] ». Pourquoi donc l’apôtre Jean attache-t-il à la charité fraternelle une si grande importance, qu’il nous larecommande comme un moyen d’être parfaits, tandis que, d’après le Sauveur, il ne suffit pas d’aimer ses frères, mais qu’il faut pousser la charité au point d’aimer même ses ennemis ? Celui qui va jusqu’à aimer ses ennemis, ne néglige point d’aimer ses frères. Il en est d’elle comme du feu : il lui faut d’abord s’attaquer aux objets les plus rapprochés, pour de là s’étendre jusqu’aux plus éloignés. Top frère est plus proche de toi que je ne sais quel homme. A son tour, cet homme que tu ne connaissais pas encore, et qui ne nourrit contre toi aucune animosité, est plus rapproché de toi qu’un ennemi qui joint l’action à ses mauvais sentiments. Etends ta charité jusqu’aux plus proches, mais ne dis pas que tu l’as étendue ; car aimer ceux qui te touchent, c’est aimer non loin de toi ; étends la jusqu’à ceux que tu ne connais pas et qui ne t’ont fait aucun mal : va même plus loin qu’eux, pousse la charité jusqu’à aimer tes ennemis : sans aucun doute, Dieu le commande. Mais pourquoi n’a-il point parlé de l’amour des ennemis ?


5. Toute charité, même celle qu’on nomme charnelle, et qui est, à vrai dire, non pas la charité, mais bien plutôt, l’amour (car le mot charité se dit d’ordinaire dans les meilleures occasions ; on l’emploie pour signifier les plus nobles sentiments), toute charité, mes très-chers frères, présuppose un certain bon vouloir pour ceux que l’on aime. Le Sauveur s’était lui-même servi du mot aimer, quand il a dit : « Pierre, m’aimes-tu[6] ? » Nous ne devons pas chérir, nous ne pouvons pas chérir ou aimer les hommes de toute manière, nous ne devons pas les aimer dans le sens qu’attachent à ce mot les viveurs lorsque nous les entendons dire : J’aime les grives. Tu demandes pourquoi ? Parce qu’ils veulent les tuer et les manger. Ces gens-là disent qu’ils aiment les grives, mais c’est pour les anéantir, c’est pour qu’il n’en soit plus question ; et tout ce que nous aimons dans le dessein de le manger, nous l’aimons pour en faire la fin et réparer nos forces. Devons-nous aimer les hommes, comme s’ils étaient réservés à nous nourrir ? Mais il y a une amitié de bienveillance qui nous porte parfois à rendre service à ceux que nous aimons. Qu’en sera-t-il, si nous ne pouvons leur être utiles ? Alors notre amitié se bornera à êtrebienveillante.

  1. Mt. 9, 20-22
  2. Héb. 13, 1
  3. 1 Jn. 2, 10
  4. Id. 3, 23
  5. Mt. 5, 46
  6. Jn. 21, 17