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ose pas vous donner une réponse précipitée. Comprenne et décide qui pourra, s’il est plus grand de créer les justes que de justifier les pécheurs. Ce qu’il y a de certain, c’est que si des deux côtés la puissance est égale, dans ce dernier cas la miséricorde l’emporte. « C’est en effet le grand mystère de piété qui a été manifesté dans la chair, justifié dans l’esprit, qui a apparu aux anges, qui a été prêché parmi les nations, cru dans le monde et élevé dans la gloire[1] ! » Mais rien ne nous oblige à croire que Jésus-Christ entend parler de toutes ses œuvres lorsqu’il dit : « Il en fera de plus grandes que celles-ci » : par « celles-ci », il a peut-être voulu nous faire entendre celles qu’il faisait en ce moment. Or, en ce moment il proférait des paroles de foi, et il avait déjà voulu parler de ces œuvres, lorsqu’il disait : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais le Père qui ; demeure en moi, fait les œuvres que je fais ». Alors ses paroles étaient ses œuvres, et assurément il est moins grand de prêcher les paroles de justice, chose que Jésus-Christ a faite sans nous, que de justifier les pécheurs, chose qu’il fait en nous, mais concurremment avec nous. Il nous reste à examiner comment il faut entendre ces mots : « Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai ». Comme les fidèles demandent à Dieu beaucoup de choses qu’ils n’obtiennent pas, il s’élève à ce sujet une difficulté considérable ; mais comme aussi il est temps de terminer ce discours, mieux vaut différer un peu pour traiter et examiner cette question plus à loisir.

SOIXANTE-TREIZIÈME TRAITÉ.

ENCORE SUR LA MÊME LEÇON.

CONDITIONS ET EFFETS DE LA PRIÈRE.

Si l’on a la foi, on obtient tôt ou tard ce qu’on demande, parce qu’on le demande pour une bonne fin et au nom de Jésus-Christ.


1. Le Seigneur promit de grandes choses à ceux des siens qui espèrent en lui, lorsqu’il dit : « Parce que je vais vers le l’ère, tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai ». Il est donc allé vers le Père, de manière cependant à ne pas les laisser dans le besoin, mais à exaucer leurs prières. Mais que veut dire, « tout ce que vous demanderez », puisque nous voyons très-souvent les fidèles demander et ne pas obtenir ? Ne serait-ce point parce qu’ils demandent mal ? C’est en effet le reproche que fait l’apôtre Jacques. Vous demandez et vous ne recevez pas, « parce que vous demandez mal, ne cherchant qu’à satisfaire vos passions [2] ». C’est par un effet de la miséricorde de Dieu qu’on n’obtient pas, si l’on doit mal user de ce qu’on demande. C’est pourquoi, si nous lui demandons des choses qui nous seraient nuisibles, nous devons bien plutôt craindre de voir un effet de sa colère dans l’obtention de ce qu’il nous refuserait dans sa miséricorde. Ne savons-nous pas que les Israélites obtinrent pour leur malheur ce qu’ils demandaient sous l’influence d’une passion coupable ? ils désirèrent manger de la chair [3]. Et pourtant la manne tombait du ciel pour eux, ils étaient dégoûtés de ce qu’ils avaient, et ils demandaient impudemment ce qu’ils n’avaient pas : comme s’il n’eût pas mieux valu peureux demander, non pas que la nourriture qui leur manquait fût accordée à leur désir coupable ; mais que, guéris de leur dégoût ils pussent prendre celle qu’ils avaient. En effet, quand le mal nous réjouit et que le bien ne nous plaît pas, nous devons plutôt demander à Dieu qu’il

  1. 1 Tim. 3, 16
  2. Jac. 4, 3
  3. Nb. 11, 32