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ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, et ce fondement, c’est Jésus-Christ [1] ». L’Église, qui est fondée sur le Christ, a donc reçu de lui, dans la personne de Pierre, les clefs du royaume des cieux, c’est-à-dire le pouvoir de retenir et de remettre les péchés. Ce que l’Église est par nature dans le Christ, Pierre l’est en figure dans la pierre ; par là, nous voyons que le Christ c’est la pierre, et que Pierre, c’est l’Église. Tout le temps que cette Église, représentée par Pierre, se trouve plongée dans la tribulation, elle en sort victorieuse en aimant et en suivant le Christ, et elle le suit particulièrement dans la personne de ceux qui combattent jusqu’à la mort pour la vérité ; mais à la masse des hommes, rachetée au prix du sang du Christ, il est dit : « Suis-moi » ; et le même Pierre dit du Christ : « Il a souffert pour nous, nous laissant un grand exemple afin que nous marchions sur ses pas [2] ». Voilà pourquoi le Sauveur lui a adressé ces paroles : « Suis-moi ». Mais il y aune autre vie celle-là est immortelle ; on y est préservé de tous maux nous y verrons face à face ce que nous ne voyons ici que comme dans un miroir et sous des images obscures [3]. Alors nous trouverons notre bonheur à contempler la vérité. L’Église connaît donc deux vies, parce que Dieu lui en a parlé et les lui a fait connaître, l’une qui consiste à croire ; l’autre à voir distinctement ; l’une qui s’écoule dans ce triste pèlerinage, l’autre qui demeurera pendant l’éternité ; l’une, qui se passe dans les agitations, l’autre, où l’on se reposera ; l’une, qui appartient à notre voyage ici-bas, l’autre, dont on jouira dans la patrie ; l’une, occupée par le travail, l’autre, récompensée par la claire vue de Dieu ; dans l’une, on évite le mal et l’on fait le bien, dans l’autre, il n’y a aucun mal à éviter, et l’on y jouit d’un bonheur sans limites : l’une consiste à lutter contre l’ennemi, l’autre, à régner sans rencontrer d’adversaire ; dans l’une, on se montre fort contre l’adversité, dans l’autre, rien de pénible ne nous tourmentera ; ici, il faut dompter les convoitises charnelles, là, on sera plongé dans un océan de délices spirituelles ; l’une est troublée par la difficulté de vaincre, l’autre est tranquille parce qu’elle jouit de la paix de la victoire ; au milieu des épreuves, la première a besoin de secours, la seconde ne rencontre aucune difficulté et puise la joie en celui-là même qui aide les malheureux ; dans l’une, on vient au secours des indigents, dans le séjour de l’autre, on ne trouve aucun infortuné ; ici, on pardonne aux autres leurs péchés, afin d’obtenir d’eux indulgence pour les siens ; là, on ne souffre rien qu’on doive pardonner, on ne fait rien qui exige l’indulgence d’autrui ; dans l’une, on est accablé de maux pour que la prospérité n’engendre pas l’orgueil ; dans l’autre, on est comblé d’une telle abondance de grâces, qu’on est à l’abri de tout mal et qu’on s’attache au souverain bien sans éprouver le moindre sentiment d’orgueil ; l’une est témoin du bien et du mal, l’autre ne voit que du bien ; l’une est donc bonne, mais malheureuse, l’autre est meilleure et bienheureuse ; la première a été figurée par l’apôtre Pierre, la seconde par l’apôtre Jean ; l’une s’écoule tout entière ici-bas, elle s’étendra jusqu’à la fin des temps et y trouvera son terme ; l’autre ne recevra sa perfection qu’à la consommation des siècles, mais dans le siècle futur elle n’aura pas de fin.; aussi dit-on à l’une « Suis-moi », et à l’autre : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ; que t’importe ? Suis-moi ». Que veulent dire ces paroles ? À mon sens, à mon avis, elles n’ont pas d’autre signification que celle-ci : Suis-moi en m’imitant, en supportant comme moi les épreuves de la vie ; pour lui, qu’il demeure jusqu’au moment où je viendrai mettre les hommes en possession des biens éternels. Traduisons cette pensée en termes plus clairs : Suis-moi par une vie active, parfaite et modelée sur l’exemple de ma passion : pour celui qui a commencé à me contempler, qu’il continue jusqu’à ce que je vienne, et quand je viendrai, je porterai à la perfection son habitude de me voir. Celui-là, en effet, marche sur les traces du Christ, qui persiste jusqu’à la mort dans les sentiments d’une entière et pieuse patience ; quant à la plénitude de la science, elle demeure jusqu’à ce que vienne le Christ, et alors elle se montrera au grand jour. Ici, dans la terre des morts, nous avons à supporter les maux de ce monde ; là, dans la terre des vivants, nous contemplerons les biens ineffables du Seigneur. Car ces paroles « Je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne », nous ne devons pas y attacher le

  1. 1 Cor. 3, 11
  2. 1 Pi. 2, 21
  3. 1 Cor. 13, 12