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faire jusqu’au quarantième jour où il monta au ciel, et dont le texte saint ne fait pas mention.

4. « Après donc qu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? Oui, Seigneur, lui répondit-il, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis. « Il lui dit une seconde fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre lui répondit : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux. Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pierre fut, contristé de ce qu’il lui demandait pour la troisième fois : M’aimes-tu ? Il lui dit : Seigneur, vous connaissez tout ; vous savez que je vous aime. Il lui dit : Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te le dis ; lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais lorsque, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas. Or, il dit cela, marquant par quelle mort il devait glorifier Dieu ». Ainsi devait finir l’homme qui avait renié son maître, et qui l’aimait si vivement, cet homme élevé par sa présomption, jeté à terre par son reniement, purifié par ses larmes, éprouvé par sa confession, couronné à cause de ses souffrances ; oui, il devait finir, en mourant victime de son amour sans bornes pour celui avec qui un empressement coupable lui avait fait promettre de mourir. Affermi par la résurrection de son Maître, puisse-t-il accomplir ce qu’il avait prématurément promis, lorsqu’il était faible ! Il fallait que le Christ mourût d’abord pour le salut de Pierre, et qu’ensuite Pierre mourût pour annoncer le Christ. Ce que l’humaine témérité avait conduit à un commencement d’exécution, devait se faire ensuite ; car la Vérité éternelle avait préparé cet enchaînement régulier des événements. Pierre croyait donner sa vie pour le Christ [1], pour son libérateur, et c’était lui qui devait être délivré ; car le Christ était venu mourir pour toutes ses brebis, et Pierre était du nombre ; c’est ce qui a déjà eu lieu. Maintenant soyons fermement décidés à souffrir la mort pour le nom du Seigneur, et cette fermeté réelle, puisons-la dans le secours de la grâce, et ne l’attendons pas d’une présomption trompeuse, car elle ne serait que de la faiblesse ; voici le moment de ne point craindre la fin violente de la vie présente : en ressuscitant, le Sauveur nous a donné la preuve exemplaire d’une autre vie. O Pierre, c’est aujourd’hui que vous ne devez plus redouter de mourir ; car celui-là est vivant, dont la mort vous faisait pleurer, et que vous vouliez, par un sentiment d’affection charnelle, empêcher de mourir pour nous [2]. Vous n’avez pas craint de prendre le pas sur votre guide, et la vue de son ennemi vous a fait trembler ; le prix de votre rachat a été versé, c’est maintenant à vous de suivre votre Rédempteur, et de le suivre même jusqu’à la mort de la croix. Vous êtes sûr de sa véracité, vous avez entendu ses paroles ; il vous avait prédit que vous le renieriez ; il vous prédit aujourd’hui que vous souffrirez.

5. Mais, auparavant, le Sauveur demande à Pierre une fois, deux fois, trois fois, ce qu’il sait déjà, c’est-à-dire s’il l’aime ; et trois fois Pierre ne lui répond que par une protestation d’amour, et trois fois il ne fait à Pierre d’autre recommandation que celle de paître ses brebis. À un triple reniement succède une triple confession : ainsi la langue de Pierre n’obéit pas moins à l’affection qu’à la crainte, et la vie présente du Sauveur lui fait prononcer autant de paroles, que la mort imminente de son Maître lui en avait arrachées. Si, en reniant le pasteur, Pierre donna la preuve de sa faiblesse, qu’il donne la preuve de son affection en paissant le troupeau du Seigneur. Quiconque fait paître les brebis du Christ, de manière à vouloir en faire, non pas les brebis du Christ, mais les siennes propres, celui-là est, par là même, convaincu de s’aimer lui-même et de n’aimer pas le Christ : il prouve qu’il se laisse conduire par le désir de la gloire, de la domination, de l’agrandissement temporel, et non par un élan du cœur, qui le porte à obéir, à se dévouer et à plaire à Dieu ; contre de telles gens s’élève la parole prononcée trois fois de suite par le Christ : ce sont de telles gens, que l’Apôtre gémit de voir chercher leur avantage, au lieu de chercher celui de Jésus-Christ[3]. Que signifient, en effet, ces paroles : « M’aimes-tu ? Pais mes brebis ? » N’est-ce pas dire, en d’autres termes : Si tu m’aimes, ne songe point à te nourrir toi-même, mais pais

  1. Jn. 13, 37
  2. Mat. 16, 21, 22
  3. Phi. 2, 21