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filets jusqu’au rivage. Ces faits, et tous ceux qu’on a pu remarquer en outre, représentent l’Église, les uns telle qu’elle est maintenant, les autres telle qu’elle sera à la fin des temps c'est pourquoi ceux-là ont eu lieu avant, et ceux-ci après la résurrection du Sauveur : dans le premier cas, le Christ a fait allusion à notre vocation ; dans le second, à notre résurrection. Là, on ne jette les filets, ni à droite, dans la crainte dune figurer que les bons, ni à gauche, dans la crainte de ne figurer que les méchants ; on les jette à la première place venue : « Jetez les filets pour pêcher », dit le Sauveur, pour nous faire comprendre que les bons et les méchants sont aujourd’hui mêlés ensemble ; ici, voici comment il s’exprime : « Jetez le filet à la droite de la barque », pour montrer que les bons étaient seuls à la droite. Dans le premier cas, la rupture du filet marquait les schismes ; mais, pour le second, l’Évangéliste a eu le droit de dire : « Et quoiqu’ils fussent si considérables », c’est-à-dire si grands,« le filet ne se rompit point », parce. qu’après les siècles, dans la profonde paix des saints, il n’y aura plus de schismes. Jean semblait considérer la déchirure du premier filet, et profiter de ce malheur pour faire mieux comprendre l’avantage réservé au second. Autrefois, les disciples prirent une si grande quantité de poissons, que deux barques en furent remplies, et qu’elles sombraient [1], c’est-à-dire, qu’elles menaçaient de sombrer sous la charge ; car si elles ne furent pas englouties, elles coururent néanmoins le danger de l’être. Pourquoi avons-nous à gémir sur une foule de scandales qui désolent l’Église ? C’est qu’on y voit entrer une immense multitude dont les mœurs sont tout opposées aux exemples des saints, c’est qu’on ne peut l’empêcher d’y pénétrer et d’exposer la discipline au danger presque certain d’un naufrage. Aujourd’hui, les Apôtres ont jeté le filet du côté droit, et « ils ne pouvaient le tirer tant il y avait de poissons ». Qu’est-ce à dire : « ils ne pouvaient le tirer ? » Le voici Ceux qui jouiront de la résurrection de la vie, c’est-à-dire, qui seront à la droite, ceux qui, au sortir de cette vie, se trouveront enfermés dans le filet du nom chrétien, ne seront connus que sur le rivage, ou, pour mieux dire, à la consommation des siècles. Aussi n’ont-ils pu tirer leurs filets de manière à déverser dans leurs barques les poissons qu’ils avaient pris, comme ils avaient fait jadis avec ceux qui avaient rompu leur filet et presque submergé leur nacelle. Après cette vie, plongés dans le sommeil de la paix comme dans les profondeurs de la mer, ces chrétiens de la droite attendent, au sein de l’Église, que le filet parvienne au rivage vers lequel on le tirait à la distance d’environ deux cents coudées. Les deux barques de la première pêche étaient l’emblème de la circoncision et du prépuce : les deux cents coudées dont il est question dans le récit de la seconde pêche, ont, à mon avis, la même signification : elles ont trait aux élus de l’une et de l’autre catégorie, c’est-à-dire aux circoncis et aux incirconcis, également représentés par le nombre cent ; car, par son total, ce chiffre regarde la droite. Enfin, l’Évangéliste n’indique pas la quantité des poissons recueillis, lors de la première pêche, comme si ce miracle était l’accomplissement des paroles du Prophète : « J’ai annoncé et j’ai parlé, et ils se sont multipliés au-delà de toute mesure[2] ». Pour la seconde pêche, le nombre des poissons n’a pas été sans mesure, il est nettement déterminé : cent cinquante-trois ; nous allons, avec l’aide de Dieu, en expliquer la portée.
8. Quel nombre établir qui représente la loi ? Aucun, si ce n’est le nombre dix ; car, nous le savons à n’en pas douter, Dieu d’abord a écrit, de son propre doigt, sur deux tables de pierre, le Décalogue de la loi, c’est-à-dire les dix commandements bien connus qui la composent[3]. Mais, quand la loi n’est pas aidée de la grâce, elle fait des prévaricateurs et n’existe qu’à l’état de lettre : voilà surtout pourquoi l’Apôtre a dit : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie[4] ». Il faut donc que l’esprit vienne s’adjoindre à la lettre, pour que la lettre ne tue pas celui que ne vivifie point l’esprit et, aussi, afin que nous accomplissions les préceptes de la loi, non avec nos seules forces, mais avec la grâce du Sauveur. Quand la grâce vient en aide à la loi, c’est-à-dire, quand l’esprit s’unit à la lettre, le nombre sept s’ajoute, en une certaine façon, au nombre dix ; car ce nombre sept est l’emblème de l’Esprit-Saint, les lettres sacrées en fournissent de remarquables preuves. La sainteté ou l’action de sanctifier appartient

  1. Lc. 5, 3-7
  2. Ps. 39, 6
  3. Deut. 9, 10
  4. 2 Cor. 3,6