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jour, d’après l’usage de leur pays qu’ils observaient, il leur était défendu de travailler ; au troisième jour, le Sauveur ressuscita et leur rendit, par là, l’espérance qu’ils avaient déjà commencé à ne plus avoir ; cependant, s’ils étaient alors retournés à leurs filets, nous croirions devoir en attribuer la cause au désespoir dans lequel ils étaient tombés. Mais aujourd’hui, le Christ, sorti du tombeau, leur a été rendu plein de vie ; la vérité s’est présentée à eux avec la dernière évidence, et ils ont pu, non seulement la considérer de leurs yeux, mais la toucher et la palper de leurs mains ; ils ont si bien examiné la trace de ses plaies que l’apôtre Thomas en a confessé la réelle existence, après avoir dit qu’il croirait à cette seule condition ; le Sauveur a soufflé sur eux et leur a donné son saint Esprit ; il leur a, de sa propre bouche, adressé ces paroles : « Comme mon Père m’a envoyé, moi « aussi je vous envoie ; ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus[1] ». Et tout à coup ils deviennent ce qu’ils étaient auparavant ; ils deviennent, non pas des pêcheurs d’hommes, mais des pêcheurs de poissons.
3. Voici la réponse à faire aux personnes étonnées d’une pareille conduite. Il n’était point défendu aux disciples de demander à un métier permis et autorisé le moyen de vivre, s’ils ne portaient d’ailleurs aucune atteinte à l’intégrité de leur apostolat et se trouvaient dans l’impossibilité de se procurer autrement les aliments qui leur étaient nécessaires. Oserait-on, par hasard, penser ou dire que l’apôtre Paul n’était pas du nombre des hommes parfaits, qui ont tout abandonné pour suivre le Christ, parce qu’afin de n’être à charge à aucun de ceux auxquels il prêchait l’Évangile, il gagnait son pain avec son travail manuel[2] ? Il a travaillé pour vivre ; la preuve en ressort plus particulièrement de ces paroles : « J’ai travaillé plus que tous les autres ; néanmoins », ajoute-t-il aussitôt, « non par moi, mais la grâce de Dieu avec moi[3] ». L’Apôtre voulait, par là, faire voir que s’il avait pu spirituellement et corporellement travailler plus que les autres, de manière à prêcher continuellement l’Évangile, sans vivre comme eux de l’Évangile, il le devait à la grâce divine. Effectivement, il en répandait les enseignements bien plus loin et avec plus de fruit au milieu d’une foule de nations qui n’avaient pas entendu parler du nom du Christ. Il montrait ainsi que les Apôtres ont reçu, je ne dirai pas l’ordre, mais le pouvoir de vivre de l’Évangile, ou, en d’autres termes, de tirer leur nécessaire de sa prédication. Ce pouvoir, le même Apôtre en fait mention dans le passage suivant : « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous a recueillions un peu de vos biens temporels ? Si d’autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi n’en userions-nous pas plutôt qu’eux ? Cependant », ajoute-t-il, « nous n’avons pas usé de ce pouvoir ». Immédiatement après, il dit encore : « Ceux qui servent à l’autel ont part aux oblations de l’autel ; ainsi, le Seigneur ordonne que ceux qui annoncent l’Évangile vivent de l’Évangile ; mais moi, je n’ai usé d’aucun de ces droits ». C’est donc un point bien établi qu’il a été, sinon commandé, du moins permis aux Apôtres de ne vivre que de l’Évangile et de demander leur nourriture à ceux parmi lesquels ils répandraient les biens spirituels par la prédication évangélique, c’est-à-dire qu’il leur était loisible d’exiger les aliments du corps et de recevoir la paie nécessaire, comme s’ils étaient les soldats du Christ et que les fidèles en fussent les sujets. Voilà pourquoi le même Apôtre, ce noble soldat, avait dit un peu auparavant : « Qui est-ce qui fait la guerre à ses frais [4] ? » C’était, néanmoins, ce que faisait Paul ; car il travaillait plus que tous les autres. Le bienheureux Paul ne voulut pas, comme les autres prédicateurs de l’Évangile, user du pouvoir qu’il avait reçu comme eux ; il voulut combattre à ses propres dépens, afin de ne point donner à des nations qui ne connaissaient nullement le Christ, l’occasion de se scandaliser d’une doctrine vénale en apparence ; il apprit un métier à la pratique duquel son éducation était restée étrangère ; et, parle travail de ses mains, le maître était nourri sans imposer à ses disciples aucun sacrifice. S’il en fut ainsi de Paul, le bienheureux Pierre, qui avait déjà été pécheur, et qui, par conséquent, faisait ce qu’il savait, n’eut-il pas un droit plus réel encore d’agir comme lui, si, pour le moment, il n’avait pas à sa disposition un

  1. Jn. 20, 21-23
  2. 2 Thes. 3, 8
  3. 1 Cor. 15, 10
  4. 1 Cor. 9, 11-15