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de pleurs et versaient plus de larmes sur son enlèvement du sépulcre, que sur sa mort au Calvaire : la raison en était qu’après avoir ôté la vie à ce maître si grand, on lui enlevait le moyen même de survivre dans la mémoire des siens. La douleur attachait donc cette femme au sépulcre de son Dieu. « Et, pendant qu’elle pleurait, elle se baissa et porta ses regards dans le sépulcre ». Pourquoi agissait-elle de la sorte ? Je n’en sais rien. Car elle ne l’ignorait pas : celui qu’elle cherchait n’était pas là : elle avait même annoncé à ses disciples qu’on l’en avait enlevé ; et ceux-ci étaient venus au sépulcre, et non seulement ils y avaient regardé, mais ils y étaient entrés pour trouver le corps du Sauveur, et ils n’y avaient rien vu. Pourquoi donc, pendant qu’elle pleurait, Marie-Madeleine s’est-elle baissée pour regarder encore une fois dans le tombeau ? Pensait-elle que ce qu’elle déplorait si amèrement, ni les yeux des autres ni les siens ne pourraient y croire aisément ? Ou plutôt, regarda-t-elle dans le tombeau sous l’influence d’une inspiration intérieure et divine ? Elle porta donc ses regards dans le sépulcre, et « elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à l’endroit où le corps de Jésus avait été déposé, l’un à la tête, l’autre aux pieds ». Pourquoi l’un de ces anges était-il assis à la tête et l’autre aux pieds ? Le mot grec ange se traduit en latin par le mot messager ; ces anges ainsi placés signifiaient-ils que l’Évangile du Christ devait être annoncé, en quelque sorte, depuis la tête jusqu’aux pieds ; c’est-à-dire depuis le commencement jusqu’à la fin ? « Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l’a mis ». Les anges voulaient l’empêcher de pleurer ; mais comment lui annonçaient-ils d’une certaine façon, qu’elle n’aurait bientôt plus qu’à se réjouir ? Ils lui avaient adressé ces paroles : « Pourquoi pleures-tu ? » comme pour lui dire : Ne pleure pas. S’imaginant qu’ils ne savaient rien et qu’ils l’interrogeaient en raison de leur ignorance, elle leur fait connaître la cause de son chagrin. « Parce que », dit-elle, « on a enlevé mon Seigneur ». Elle appelait son Seigneur le corps inanimé de Jésus ; elle prenait la partie pour le tout : nous reconnaissons de la même manière pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, qui est en même temps Verbe, âme et corps ; et, pourtant, nous disons qu’il a été crucifié et enseveli, quoique son corps seul ait été mis au tombeau. « Et je ne sais où on l’a mis ». La cause principale de sa douleur, c’était qu’elle ignorait où elle porterait ses pas pour y apporter un remède. Mais déjà était venu le moment où la joie succéderait aux larmes, comme les anges l’avaient, en quelque sorte, annoncé à Marie-Madeleine pour l’empêcher de pleurer.

2. Enfin, « lorsqu’elle eut dit cela, elle se retourna et vit Jésus debout, et elle ne savait pas que ce fût lui. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, croyant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis, et je l’emporterai. Jésus lui dit : Marie. Elle se retourna et lui dit : Rabboni ! Ce qui signifie « mon Maître ! » Que personne ne fasse à cette femme un reproche d’avoir appelé le jardinier son Seigneur, et Jésus son Maître. Elle priait l’un et reconnaissait l’autre ; elle donnait un signe de respect à l’homme à qui elle demandait un renseignement, et elle honorait comme docteur celui qui lui apprenait à connaître les choses divines et humaines. Elle donnait le nom de Seigneur à celui dont elle n’était point la servante, afin d’arriver, par son intermédiaire, au Seigneur qu’elle servait. Le mot Seigneur n’avait donc pas, dans son idée, le même sens, quand elle disait : « On a enlevé mon Seigneur », que lorsqu’elle disait : « Seigneur, si tu l’as enlevé ». Les Prophètes eux-mêmes ont donné à de simples hommes le nom de Seigneur ; mais c’était dans un sens bien différent qu’ils appelaient de ce nom celui dont il est écrit : « Le Seigneur est son nom[1] ». Cette femme s’était déjà retournée pour voir Jésus au moment où elle croyait avoir fait la rencontre d’un jardinier, et s’entretenait avec lui ; mais comment peut-on dire qu’elle s’est retournée de nouveau pour lui dire : « Rabboni ? » Le voici évidemment. Elle s’était d’abord corporellement retournée et avait cru voir ce qu’il n’était pas ; ensuite, elle a fait un retour de cœur, et elle a reconnu ce qu’il était réellement.

3. « Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père,

  1. Ps. 67, 5