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mais ils ignoraient qu’ils les savaient. « Jésus lui dit : Je suis la voie, et la vérité, et la vie ». Eh quoi, mes frères ? nous avons entendu la question du disciple, nous avons aussi entendu l’enseignement du Maître et nous n’en comprenons pas encore le sens caché, même après avoir entendu ses paroles retentir à nos oreilles ? Mais qu’est-ce donc que nous ne pouvons comprendre ? Est-ce que ses Apôtres, avec lesquels il parlait, pouvaient lui dire : Nous ne vous connaissons pas ? Si donc ils le connaissaient, puisqu’il est lui-même la voie, ils connaissaient la voie ; s’ils le connaissaient, puisqu’il est lui-même la vérité, ils connaissaient la vérité ; s’ils le connaissaient, puisqu’il est la vie, ils connaissaient la vie. Les voilà donc convaincus de savoir ce qu’ils ignoraient savoir.

2. Pour nous, mes frères, y a-t-il, à votre avis, dans ce discours quelque chose que nous n’ayons pas compris ? N’est-ce pas ce qu’il leur dit : « Et vous savez où je vais, et vous en connaissez la voie ? » Et nous venons de voir qu’ils connaissaient la voie, parce qu’ils le connaissaient lui-même, et qu’il est la voie. Mais si la voie est le chemin par lequel on marche, est-elle aussi le lieu où l’on va ? Or, il avait dit qu’ils connaissaient ces deux choses : et où il va, et la voie qui y conduit ; il lui fallait donc dire : « Je suis la voie », pour leur montrer que, puisqu’ils le connaissaient, ils connaissaient la voie qu’ils croyaient ignorer ; mais pourquoi dire : « Je suis la voie, et la vérité et la vie », puisque, étant connu le chemin par lequel il marchait, il ne restait à connaître que l’endroit où il allait, sinon parce qu’il allait à la vérité, à la vie ? Il allait donc à lui-même, par lui-même, et nous, où allons-nous, si ce n’est à lui-même ? et par où y allons-nous, si ce n’est par lui-même ? Il va donc à lui-même par lui-même ; et nous, nous allons à lui-même par lui-même, et c’est aussi par lui-même que, lui et nous, nous allons au Père. Ailleurs en effet il dit de lui-même : « Je vais au Père[1] » ; et ici il dit en parlant de nous : « Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi ». Ainsi c’est par lui-même qu’il va à lui-même et au Père, et nous, c’est par lui-même que nous allons à lui-même et au Père. Mais ces choses, qui les comprend ? Celui-là seul qui a le sentiment des choses spirituelles ; et encore, qu’est-ce que comprend à cela, celui-là même qui a le sentiment des choses spirituelles ? Mes frères, pourquoi voulez-vous que je vous explique ces choses ? considérez combien elles sont élevées. Vous voyez ce que je suis ; je vois ce que vous êtes. En nous tous, ce corps de corruption appesantit l’âme, et cette habitation de boue abat l’esprit capable des plus hautes pensées[2]. Croyons-nous pouvoir dire : « J’ai élevé mon âme vers vous, qui habitez dans le ciel[3] ? » Mais accablé par ce pesant fardeau sous lequel nous gémissons, comment élèverai-je mon âme, si celui qui a donné son âme pour moi n’élève la mienne avec moi ? Je dirai donc ce que je pourrai ; que parmi vous comprenne qui pourra. C’est celui par la grâce de qui je parle, qui, par sa grâce, donne l’intelligence à celui qui comprend, et la foi à celui qui ne comprend pas. Car, « si vous ne croyez », dit un Prophète, « vous ne comprendrez pas[4] ».

3. Dites-moi, mon Dieu, ce que je dois dire à vos serviteurs avec lesquels je vous sers moi-même. L’apôtre Thomas, pour vous interroger, vous avait devant lui, et cependant il ne vous aurait pas compris, s’il ne vous avait pas eu au dedans de lui-même. Pour moi, je vous interroge, parce que je sais que vous êtes au-dessus de moi ; je vous interroge, je m’efforce autant qu’il est en moi d’élever mon âme au-dessus de moi, et de pouvoir ainsi entendre, sinon votre parole, du moins vos instructions. Dites-moi, je vous en supplie, comment vous allez à vous-même ? Est-ce que, pour venir à nous, vous vous êtes quitté vous-même ; surtout que vous n’êtes pas venu de vous-même, mais que le Père vous a envoyé ? Je sais que vous vous êtes anéanti ; parce que vous avez pris la forme d’esclave[5], mais non parce que vous vous seriez dépouillé de la forme de Dieu pour avoir besoin d’y revenir, ou que vous l’auriez perdue pour avoir à la reprendre. Vous êtes néanmoins venu : non seulement vous vous êtes montré à des yeux de chair, mais vous vous êtes laissé toucher par des mains d’hommes. Comment cela, sinon par votre chair ? C’est par elle que vous êtes venu, tout en restant où vous étiez ; c’est par elle que, sans nous quitter, vous êtes retourné à l’endroit d’où vous étiez venu. Si donc c’est par votre

  1. Jn. 16, 10
  2. Sag. 9, 15
  3. Psa. 122, 1
  4. Isa. 7, 9, suiv. les septante
  5. Phi. 2, 7