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4. Quand donc Pilate eut entendu cette parole, il craignit davantage et il entra de nouveau dans le prétoire et dit à Jésus. « D’où es-tu ? Mais Jésus ne lui donna point de réponse ». Ce silence de Notre-Seigneur Jésus-Christ n’eut pas lieu qu’une seule fois. Si, en effet, nous comparons les récits de chaque Évangéliste, nous verrons qu’il se produisit et chez les princes des prêtres, et chez Hérode, où, comme le raconte Luc, Pilate l’avait envoyé pour être interrogé, et chez Pilate lui-même[1]. Ainsi se vérifiait la prophétie où il avait été dit de lui : « Comme l’agneau devant celui qui le tond reste sans voix, ainsi il n’a pas ouvert la bouche [2] ». Elle se réalisa évidemment quand il ne répondit pas à ceux qui l’interrogeaient. Quoiqu’il ait assez souvent répondu à certaines questions, cependant, à cause des circonstances où il n’a pas voulu répondre, il a été comparé à un agneau, afin que son silence le fit reconnaître non comme coupable, mais comme innocent. Toutes les fois que, dans le cours de son jugement, il a gardé le silence, c’est en qualité d’agneau qu’il n’a pas ouvert la bouche ; en d’autres termes, s’il se taisait, ce n’était point comme un coupable qui se serait vu convaincre de ses crimes, mais comme un agneau plein de douceur immolé pour les péchés des autres.
5. « Pilate lui dit donc : Tu ne me parles point ? Tu ne sais donc pas que j’ai le pouvoir de te crucifier et que j’ai le pouvoir de te renvoyer ? Jésus lui répondit : Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, s’il ne vous avait été donné d’en haut. C’est pourquoi celui qui m’a livré à vous a un plus grand péché ». Voilà qu’il répond ; mais toutes les fois qu’il ne répond pas, il agit non pas à la manière d’un coupable ou d’un trompeur, mais à la manière d’un agneau, c’est-à-dire d’un homme simple et innocent qui n’ouvre pas la bouche. Aussi, quand ne répondait pas, il se taisait comme une brebis ; quand il répondait, il enseignait comme un pasteur. Apprenons donc ce qu’il nous dit, et ce qu’il nous a encore enseigné par l’Apôtre : « Qu’il n’y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu[3] » ; et que celui qui, par envie, livre au pouvoir un innocent pour le faire mettre à mort, est plus coupable que le pouvoir lui-même, s’il le met à mort par crainte d’un pouvoir plus grand. Pilate avait reçu de Dieu son pouvoir, mais il était toujours sous la puissance de César. C’est pourquoi Notre-Seigneur lui dit : « Tu n’aurais contre moi aucun pouvoir », c’est-à-dire, si petit que soit celui que tu possèdes, « si ce pouvoir », quel qu’il soit, « ne t’avait été donné d’en haut ». Mais je sais ce qu’il est, il n’est pas grand au point de te rendre tout à fait indépendant ; « c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi a un plus grand péché ». Celui-là, en effet, m’a livré à ton pouvoir par envie, et toi, tu n’exerces sur moi ce même pouvoir que par crainte. Sans doute, la crainte ne doit pas porter un homme à faire mourir son semblable, surtout quand celui-ci est innocent ; mais c’est un plus grand mat de le faire mourir par envie que de le faire mourir par crainte. Aussi le Maître de vérité ne dit pas : « Celui qui m’a livré à toi » a un péché, comme si, en cela, Pilate n’en avait pas lui-même ; mais il dit : « Il a un plus grand péché », afin de lui faire comprendre qu’il en avait aussi un ; car ce péché n’est pas réduit à rien parce que l’autre est plus grand.
6. « Dès lors Pilate cherchait à le délivrer ». Que signifient ces mois « dès lors ? » Ne l’avait-il pas déjà cherché auparavant ? Lis ce qui précède, et tu verras que dès auparavant il cherchait à renvoyer Jésus. Par ces mots : « dès lors », il faut entendre à cause de cela, c’est-à-dire, pour ne pas commettre le péché de mettre à mort l’innocent qui lui avait été livré, quoique son péché fût moindre que celui des Juifs, qui le lui, avaient livré pour le faire mourir. « Dès lors », c’est-à-dire, pour ne pas faire ce péché, « il cherchait », non seulement depuis ce moment, mais depuis le commencement, « à le renvoyer ».
7. « Mais les Juifs criaient : Si vous le renvoyez, vous n’êtes pas ami de César, car quiconque se fait roi se déclare contre César ». En lui faisant peur de César, pour le décider à faire mourir Jésus-Christ, ils crurent inspirer à Pilate une frayeur plus grande qu’en lui disant : « Nous avons une loi, et d’après la loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait le Fils de Dieu ».

Il n’avait pas craint leur loi jusqu’à le mettre à mort ; il craignit davantage le Fils de Dieu, qu’il ne voulait pas faire mourir. Mais il n’eut pas ici le courage de mépriser César, l’auteur de son pouvoir,

  1. Mt. 26, 63 ; 27, 14 ; Marc, 14, 61 ; 15, 5 ; Luc, 23, 7-9 ; Jean, 19, 9
  2. Isa. 53, 7
  3. Rom. 13, 1