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ne la comprennent pas [1] ». Prenons pour exemple quelconque une chose visible, quoiqu’elle offre des différences sensibles. Quoiqu’un aveugle se trouve où est la lumière, il n’est cependant pas avec la lumière ; mais, malgré la présence de la lumière, il est lui-même absent par rapport à elle. Ainsi en est-il de l’infidèle et de l’impie, et même de l’homme fidèle et pieux qui n’est pas encore propre à contempler la lumière de la sagesse ; quoiqu’ils ne puissent jamais être en un lieu où ne soit pas Jésus-Christ, ils ne sont cependant pas avec Jésus-Christ, à moins qu’ils y soient comme en image ; car l’homme pieux et fidèle est sûrement avec Jésus-Christ par la foi. C’est pourquoi Notre-Seigneur dit : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi[2] ». Mais lorsqu’il disait à Dieu le Père « Ceux que vous m’avez donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi », il parlait de cette image dans laquelle nous le verrons tel qu’il est[3].

3. Que personne ne vienne obscurcir par les nuages de la contradiction le sens très clair que nous venons de donner ; les paroles qui suivent viennent prêter leur témoignage à celles qui précèdent. Notre-Seigneur, en effet, avait dit : « Je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi » ; il continue et ajoute aussitôt : « Afin qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée, parce que vous m’avez aimé avant la constitution du monde ». Il dit : « Afin qu’ils voient », et non pas : afin qu’ils croient. C’est là, en effet, la récompense de la foi, et non la foi elle-même ; car si la foi est avec raison définie, dans l’épître aux Hébreux : « Une conviction des choses qui ne se voient pas[4] » ; pourquoi la récompense de la foi ne serait-elle pas définie : La vision des choses que l’on a crues et espérées ? Quand nous verrons la gloire que le Père a donnée à son Fils, et supposons qu’il s’agisse seulement ici de la gloire qu’il a donnée à son Fils fait homme après sa mort sur la croix, et non pas de celle que le Père lui a donnée, en tant que son égal, quand il l’a engendré ; quand nous verrons cette gloire du Fils, assurément alors se fera le jugement des vivants et des morts ; alors l’impie sera enlevé, afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur[5]. Quelle gloire ? Celle par laquelle il est Dieu. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[6] ». Les impies n’ont pas le cœur pur, c’est pourquoi ils ne verront pas Dieu. Alors ils iront au supplice éternel ; et c’est ainsi que l’impie sera enlevé, afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur. Mais les justes iront à la vie éternelle[7]. Or, en quoi consiste la vie éternelle ? « A vous connaître », dit Notre-Seigneur, « vous, le seul vrai Dieu, et Celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ[8] ». Elle consiste à le connaître, non pas de la manière dont il sera connu de ceux qui, sans avoir le cœur pur, auront pu cependant le voir juger les hommes dans sa forme d’esclave glorifiée, mais de la manière dont il doit être connu par ceux qui ont le cœur pur, comme seul vrai Dieu, Fils avec le Père et le Saint-Esprit, puisque la Trinité est le seul vrai Dieu. Si nous le considérons en tant qu’il est Fils de Dieu, Dieu lui-même égal et coéternel au Père, voici le sens que nous devons donner à ces paroles : « Je veux que là où je suis, ils soient aussi avec moi ». Nous serons dans le Père avec Jésus-Christ ; mais il y sera à sa manière et nous à la nôtre, n’importe où nous nous trouvions corporellement. S’il faut appeler lieu ce qui ne contient pas de corps, et que le lieu d’une chose soit celui où elle est, le Père est dans le lieu éternel, où se trouve toujours Jésus-Christ, et le lieu où se trouve le Père n’est autre que le Fils ; « car », dit-il, « je suis dans le Père et le Père est en moi[9] ». Et dans la présente prière, il dit aussi : « Comme vous, mon Père, vous êtes en moi et moi en vous ». Ils sont eux-mêmes le lieu de notre habitation ; car il ajoute : « Afin qu’eux aussi soient un en nous [10] ». Oui, nous sommes le lieu où Dieu réside, parce que nous sommes son temple. Ainsi, celui qui est mort et qui vit pour nous, prie afin que nous soyons un en eux : « Parce que son habitation a été établie dans la paix, et sa demeure dans Sion [11] ». Et nous sommes nous-mêmes cette demeure. Mais ces lieux et les choses qui s’y trouvent, comment se les représenter sans capacités étendues, et sans dimensions corporelles ? Néanmoins, ce n’est pas à beaucoup près une imperfection de nier, de repousser et de réprouver tout ce qui, sous les images, se présente à l’œil de notre cœur. Et

  1. Jn. 1, 5
  2. Mt. 12, 30
  3. 1 Jn. 3, 2
  4. Héb. 11, 1
  5. Isa. 26,10
  6. Mat. 5, 8
  7. Id. 25, 46
  8. Jn. 17, 3
  9. Id. 14, 10
  10. Id. 17, 21
  11. Psa. 75, 3