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ai-je dit la vérité ? l’Apôtre en est témoin : « Dieu », dit-il, « certifie son amour envers nous, parce que quand nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous [1] ». Il avait donc de l’amour pour nous, même lorsque nous exercions contre lui notre inimitié en commettant l’iniquité. Et cependant c’est en toute vérité qu’il lui a été dit : « Vous haïssez, Seigneur, tous ceux qui commettent l’iniquité [2] ». Par conséquent il nous aimait d’une manière admirable et toute divine, même au moment où il nous haïssait. Il nous haïssait parce que nous n’étions pas tels qu’il nous avait faits ; mais comme notre iniquité n’avait pas entièrement détruit son ouvrage, il savait tout à la fois, en chacun de nous, haïr ce que nous avions fait et aimer ce qu’il avait fait. En toutes choses, voilà ce qu’on peut croire de lui, puisqu’il est dit de lui en toute vérité : « Vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait [3] ». Car tout ce qu’il déteste, il voudrait ne pas le voir exister ; ou bien il faudrait dire qu’une chose existe à l’encontre de la volonté du Tout-Puissant, à moins que ce qu’il déteste ne se trouve, sous certains rapports, digne de son amour. C’est avec justice qu’il hait le vice et le réprouve comme contraire aux règles de son art ; et cependant, même dans les vicieux, il aime sa bonté en les guérissant, ou sa justice en les condamnant. Ainsi Dieu ne hait aucune des choses qu’il a faites. Créateur des natures et non des vices, il hait le mal, mais il ne l’a pas fait, et du mal lui-même il tire le bien qu’il fait, soit en guérissant ce mal par sa miséricorde, soit en le réglant par sa justice. Puisqu’il ne hait aucune des choses qu’il a faites, qui donc pourra exprimer dignement combien il aime les membres de son Fils unique et combien plus il aime ce Fils unique lui-même en qui ont été créées toutes les choses visibles et invisibles qui sont coordonnées chacune en son rang et aimées selon toutes les règles de la justice ? Or, les membres de son Fils unique, il les élève par l’abondance de sa grâce jusqu’à la hauteur des saints anges. Mais comme le Fils unique est le Seigneur de toutes choses, il est évidemment aussi le Seigneur des anges, car par sa nature qui le fait Dieu, il est égal, non pas aux anges, mais à son Père. Et par la grâce qui le fait homme, ne surpasse-t-il pas en excellence tous les anges, puisqu’en lui l’homme et le Verbe ne forment qu’une seule personne ?
7. Il en est cependant qui nous préfèrent même aux anges ; car, disent-ils, c’est pour nous et non pour les anges que Jésus-Christ est mort. Mais qu’est-ce que cela ? ce n’est autre chose que vouloir se glorifier de son impiété. Car « Jésus-Christ », dit l’Apôtre, « est mort dans le temps pour les impies [4] ». C’est la preuve, non pas de notre mérite, mais de la miséricorde divine. Car n’est-ce pas se montrer étrangement aveugle que de vouloir tirer du mérite de ce qu’on a, par sa faute, contracté une maladie assez détestable pour ne pouvoir être guérie que par la mort du médecin ? Cette mort, loin de rehausser nos mérites, manifeste les maladies auxquelles elle a servi de remède. Mais nous préférons-nous aux anges, parce que, les anges ayant péché, le remède capable de les guérir ne leur a pas été accordé ? Dieu leur a-t-il accordé un mince secours, tandis qu’il nous en aurait octroyé un plus considérable ? Quand même il en serait ainsi, il faudrait encore savoir si Dieu a voulu agir ainsi parce que notre état primitif était plus excellent, ou bien parce que notre chute était plus profonde. Mais puisque le Créateur de tous les biens n’a accordé aucune grâce pour relever les mauvais anges, pourquoi n’en concluons-nous pas que leur faute a été jugée d’autant plus condamnable que leur nature était plus élevée ? En comparaison de nous, ils étaient d’autant plus obligés à ne pas pécher, qu’ils étaient meilleurs que nous. Or, en offensant leur Créateur, ils ont montré pour ses bienfaits une ingratitude d’autant plus exécrable, que dans leur création ils avaient reçu un plus grand bienfait. Néanmoins, il ne leur a pas suffi d’avoir abandonné Dieu, ils ont encore voulu nous tromper. Celui qui nous a aimés comme il a aimé Jésus-Christ, nous accordera donc un grand bienfait, puisqu’en considération de Celui dont il a voulu que nous soyons les membres, il nous rendra égaux aux saints anges [5] ; par nature, en effet, nous avons été créés inférieurs aux anges, et par notre péché nous étions devenus plus indignes d’être, d’une manière quelconque, admis en leur société.

  1. Rom. 5, 8, 9
  2. Ps. 5, 7
  3. Sag. 11, 25
  4. Rom. 5, 6
  5. Lc. 20, 36