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ce qu’on dit sous des paraboles, mais le manifester par ses paroles, c’est ce qui s’appelle parler ouvertement. Comment donc Notre-Seigneur a-t-il manifesté ce qu’il n’a pas encore dit ouvertement ? Il faut reconnaître qu’en cet endroit il emploie le temps passé pour le futur, comme il avait déjà fait en cet autre : « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître [1] ». En réalité, il ne l’avait pas encore fait, mais il parlait comme s’il l’avait fait, parce qu’il savait que, d’après la prédestination, il le ferait certainement.
5. Mais que signifient ces mots : « Que vous m’avez donnés au milieu du monde ? » Il a dit des Apôtres qu’ils n’étaient pas du monde : c’est là un effet de leur régénération, et non pas de leur naissance. Que signifie aussi ce qui suit : « Ils étaient à vous et vous me les avez donnés ? » Y a-t-il eu un temps où ils appartenaient au Père, sans appartenir aussi à son Fils unique, et le Père a-t-il jamais eu quelque chose, sans que le Fils l’eût aussi ? Loin de nous cette pensée. Néanmoins, pendant une certaine époque, le Fils a eu, comme Dieu, ce qu’il n’avait pas comme homme ; car, avant de recevoir d’une mère la vie humaine, il possédait déjà toutes choses avec le Père. Aussi, quand il dit : « Ils étaient à vous », il n’a pas voulu se mettre de côté, puisqu’il était le Fils de Dieu et que le Père n’a jamais rien possédé sans lui ; mais bien qu’il puisse tout, il attribue d’habitude tout ce qu’il peut à Celui qui l’a engendré ; car il tient son pouvoir de Celui dont il a reçu l’être, et il a toujours possédé en même temps l’être et le pouvoir, car il a toujours existé et toujours le pouvoir a été inhérent à son être. Donc, tout ce que le Père a pu, le Fils l’a toujours pu avec lui ; parce que le Fils, qui a toujours existé et n’a jamais été privé du pouvoir, n’a jamais non plus été sans le Père, comme aussi le Père n’a jamais été sans lui. Et ainsi, de même que le Père éternel est tout-puissant, de même le Fils qui lui est coéternel est tout-puissant ; et s’il est tout-puissant, comme le Père, il tient tout dans sa main. Ainsi devons-nous traduire, si nous voulons rendre exactement le mot grec pantokrator: ce mot veut dire qui contient tout ; or, les nôtres ne l’auraient pas traduit par tout-puissant, si ces deux mots ne signifiaient pas la même chose. Mais si l’Éternel contient tout, Celui qui lui est coéternel et qui contient aussi tout, peut-il posséder quelque chose de moins que lui ? Quand Jésus dit : « Et vous me les avez donnés », il montre donc que c’est en qualité d’homme qu’il a reçu la puissance de les posséder, parce que Celui qui a toujours été tout-puissant n’a pas toujours été homme. Il semble glorifier plus particulièrement le Père de ce qu’il les lui a donnés, parce que tout ce qu’il est, il le tient de Celui de qui il est. Cependant, il se les est donnés à lui-même ; c’est-à-dire, Jésus-Christ Dieu a, conjointement avec le Père, donné les hommes à Jésus-Christ homme, mais homme sans le Père. Enfin, celui qui dit en cet endroit : « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés », avait déjà dit plus haut aux mêmes disciples : « C’est moi qui vous ai choisis du monde [2] ». Que toute pensée charnelle soit ici anéantie et disparaisse. Le Fils dit que le Père lui a donné du monde des hommes auxquels il dit ailleurs : « C’est moi qui vous ai choisis du monde ». Ceux que le Fils a, comme Dieu, choisis du monde conjointement avec le Père, le même Fils les a, comme homme, reçus du monde ; car le Père les lui a donnés. Le Père ne les aurait pas donnés au Fils, s’il ne les avait pas choisis ; et comme le Fils n’a pas voulu se séparer du Père quand il a dit : « C’est moi qui vous ai choisis du monde », parce que le Père les a choisis en même temps ; de même encore il n’a pas voulu se séparer du Père lorsqu’il a dit : « Ils étaient à vous », parce qu’ils étaient également au Fils. Il faut donc dire que le même Fils a, comme homme, reçu ceux qui n’étaient pas à lui, parce que, comme Dieu, il a reçu la forme d’esclave qui n’était pas à lui.
6. Notre-Seigneur continue et dit : « Et ils ont gardé votre parole ; maintenant ils ont appris que toutes les choses que vous m’avez données viennent de vous », c’est-à-dire, ils ont appris que je viens de vous. En même temps qu’il engendrait celui qui devait avoir toutes choses, le Père lui a donc donné toutes choses. « Parce que », continue-t-il, « les paroles que vous m’avez données, je les leur ai données, et ils les ont reçues » ; c’est-à-dire, ils les ont comprises et retenues. On reçoit, en effet, une parole, quand on la perçoit par l’esprit. « Et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que

  1. Jn. 15, 15
  2. Jn. 15, 19