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votre présence, et vous dire : Je suis innocent ? Qui pourrait soutenir l’éclat de votre jugement ? Il ne nous reste donc pour unique espérance « que la propitiation qui est en vous. Et je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Quelle loi ? Celle qui fait les coupables ? Or, Dieu a donné aux Juifs une loi sainte, juste[1], bonne, mais qui n’a pu que faire des pécheurs. Elle n’était point de nature à donner la vie[2], mais à montrer au pécheur ses fautes. Le pécheur en effet s’était oublié, il ne se voyait point, et la loi lui fut donnée afin qu’il se vît. La loi donc a rendu l’homme coupable, mais le législateur l’a délivré : ce législateur est le souverain Maître. La loi donc a été donnée pour effrayer, pour tenir le pécheur dans des liens ; elle ne délivre donc pas des péchés, mais elle montre le péché. Peut-être que l’interlocuteur, placé sous la loi, a reconnu dans l’abîme tous les crimes qu’il a commis contre la loi, et alors il s’est écrié : « Si vous examinez les iniquités, qui donc pourra subsister, ô mon Dieu ? » Il y a donc en Dieu une loi de propitiation, une loi de miséricorde. Celle qui fut donnée était une loi de crainte, mais il est une autre loi d’amour. Cette loi d’amour donne le pardon des péchés, elle efface les fautes passées, avertit au sujet de l’avenir : elle n’abandonne pas en chemin celui qu’elle accompagne, elle est elle-même la compagne de celui qu’elle guide en chemin. Mais il faut t’accorder avec ton adversaire[3], pendant que tu es en route avec lui. Et cet adversaire pour toi, c’est la parole de Dieu, si tu n’es pas en harmonie avec elle. Cette harmonie s’établit dès lors que tu trouves ton plaisir à faire ce que t’ordonne la parole de Dieu. L’adversaire devient ami, et au bout de la route il n’y aura personne pour te livrer au juge. Donc « je vous ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». Parce que vous avez daigné m’apporter une loi de miséricorde, me pardonner toutes mes fautes et me donner de sages conseils pour l’avenir, afin que je ne vous offense plus et quand mes pieds chancelleront en suivant vos conseils, vous m’avez donné un remède, en mettant dans ma bouche cette prière : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[4] ». Telle est votre loi, qu’il me sera remis comme j’aurai remis à mon frère. « J’ai attendu, « Seigneur, à cause de votre loi ». J’ai attendu quand il vous plairait de venir et de me délivrer de toutes mes misères, parce que dans ces misères vous n’avez point délaissé la loi de la miséricorde.
4. Écoute de quelle loi il s’agit, si tu n’as compris encore qu’il est question de la loi de charité : « Portez mutuellement vos fardeaux », dit l’Apôtre, « et de la sorte vous accomplirez la loi du Christ[5] ». Quels hommes portent mutuellement leurs fardeaux, sinon ceux qui ont la charité ? Ceux qui n’ont point la charité sont à charge à eux-mêmes, tandis que les hommes charitables se supportent mutuellement. Un homme te blesse et te demande pardon ; lui refuser ce pardon, c’est ne point porter le fardeau de ton frère ; lui pardonner, c’est le porter dans son infirmité. Et toi, qui es homme, si tu viens à tomber dans quelque faiblesse, il doit à son tour te supporter comme tu l’as supporté. Écoute ce qu’avait dit saint Paul auparavant : « Mes frères », dit-il, « si un homme est surpris dans quelque péché, vous qui êtes spirituels, instruisez-le dans l’esprit de douceur[6] ». Et de peur qu’ils ne se crussent en sûreté parce qu’il les avait appelés spirituels, il ajoute aussitôt : « En réfléchissant sur toi-même, et craignant d’être tenté aussi ». Puis il ajoute ce que je viens de citer : « Portez mutuellement vos fardeaux et vous accomplirez ainsi la loi du Christ » ; ce qui a fait dire an Prophète « J’ai attendu, Seigneur, à cause de votre loi ». On dit que les cerfs, quand ils passent quelque détroit pour aller chercher des pâturages dans les îles voisines, posent la tête l’un sur l’autre ; le premier seulement soutient sa tête sans l’appuyer sur aucun. Mais quand il est fatigué, il quitte la tête de colonne pour revenir en arrière et se reposer sur un autre. C’est ainsi que tous portent mutuellement leurs fardeaux, et arrivent au lieu recherché ; ils ne font pas naufrage, la charité est pour eux comme un vaisseau, C’est donc la charité qui porte les fardeaux, mais qu’elle ne craigne point de succomber sous leur poids ; chacun ne doit redouter que le poids de ses propres fautes. Supporter la faiblesse de son frère, ce n’est point te charger de ses péchés ; mais y consentir, c’est te charger des tiens, et non des siens : quiconque en effet adhère aux désirs du pécheur, n’est point chargé par les fautes

  1. Rom. 7,12
  2. Gal. 3,21
  3. Mt. 5,25
  4. Id. 6,12
  5. Gal. 6,2
  6. Id. 1