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6. Ne prête point à usure. Tu incrimines l’Écriture qui dit, à propos du juste, qu’« il n’a point donné son argent à usure[1] ». Ce n’est point moi qui ai écrit cette parole, ni qui l’ai dite le premier. Écoute le Seigneur. Mais alors, me dis-tu, que les clercs rie soient point usuriers. Peut-être celui qui te parle ne l’est-il point ; mais s’il l’est, oui, admettons qu’il le soit, le Dieu qui te parle par sa bouche l’est-il ? Si ce prêtre pratique ce qu’il te prêche, et toi non, tu vas donc au feu éternel, et lui au royaume sans fin. S’il ne fait point ce qu’il dit, s’il fait le mal que tu fais toi-même, s’il prêche le bien saris le pratiquer, il va comme toi au feu éternel. « Toute la paille brûlera, mais la parole de Dieu demeurera éternellement[2] ». Brûlera-t-elle donc cette Parole qui s’est adressée à toi par sa bouche ? Ou bien c’est Moïse qui te parle, c’est-à-dire un juste et fidèle serviteur de Dieu ; ou même un Pharisien assis dans la chaire de Moïse. Tu as entendu à ce propos cette parole : « Faites ce qu’ils disent, ne faites point ce qu’ils font[3] ». Tu n’as plus d’excuses, puisque c’est la parole de Dieu que tu entends. Mais comme tu ne saurais tuer la parole de Dieu, tu cherches à incriminer ceux qui te l’annoncent. Cherche à ton gré, parle à ton gré, blasphème à ton gré. « Bien des fois ils m’ont attaquée depuis ma jeunesse ; qu’Israël dise maintenant : Bien des fois ils m’ont attaqué dès ma jeunesse ». Les usuriers osent bien dire : Je n’ai pas d’autre moyen de vivre. Ainsi dirait un voleur pris sur le fait ; ainsi le brigand que l’on saisirait près du mur d’autrui ; ainsi le corrupteur qui achète les jeunes filles pour la prostitution ainsi le magicien qui fait du mal un trafic, de l’iniquité un commerce. Quelle que soit la profession infamante que nous cherchions à réprimer, on nous répondra toujours que l’on n’a pas d’autre moyen de vivre, pas d’autre gagne-pain ; comme si l’on n’était pas d’autant plus coupable, par cela même que l’on a choisi pour vivre un métier criminel, et que l’on veut tirer sa subsistance de ce qui outrage celui qui fait subsister toutes les créatures.
7. Mais que l’on prêche de la sorte, que l’on tienne ce langage, les voilà qui répondent : S’il en est ainsi, nous ne marchons point ; s’il en est ainsi, nous n’entrons point dans l’Église. Qu’ils viennent donc, qu’ils entrent, qu’ils entendent : « Bien des fois ils m’ont attaquée dès ma jeunesse. Mais ils n’ont rien pu contre moi ; les pécheurs ont forgé sur mon dos » ; c’est-à-dire, ils n’ont pu m’amener à leurs desseins ; ils ont pesé sur moi, C’est là, mes frères, une parole admirable, et très significative : « Ils n’ont rien pu contre moi, les pécheurs ont forgé sur mon dos ». Ils essaient d’abord de nous amener à leurs desseins pervers ; et s’ils ne peuvent nous y amener, supportez-nous du moins, nous disent-ils. Ainsi donc, parce que tu n’as rien pu sur moi, monte sur mon dos, je dois te supporter jusqu’à ce que vienne la fin. Tel est le précepte, afin que je produise du fruit par la patience. Si je ne puis te corriger, du moins je te supporte, peut-être que si je te supporte, toi-même tu te corrigeras. Si tu es incorrigible jusqu’à la fin, je te supporterai jusqu’à la fin : jusqu’à la fin tu seras sur mon dos, mais pour un temps. Car pèseras-tu sur moi éternellement ? Non, il viendra Celui qui doit te secouer. Viendra le temps de la moisson, la fin du siècle, et Dieu enverra ses moissonneurs ; et ces moissonneurs sont les anges qui sépareront les bons du milieu des méchants, comme on sépare l’ivraie du milieu du bon grain ; qui mettront le bon grain dans les greniers, et jetteront la paille au feu qui ne s’éteindra jamais[4]. Je vous ai porté autant que je l’ai pu, je passe maintenant avec joie dans les greniers de Dieu, et je chante avec assurance : « Bien des fois ils m’ont attaquée dès ma jeunesse ».
8. Qu’ont-ils pu me faire en m’attaquant dès ma jeunesse ? Ils m’ont éprouvé, mais sans m’accabler, ils ont été pour moi comme le feu pour l’or, mais non comme le feu pour la paille. Mettez l’or au feu, il en sort des scories ; mettez-y la paille, elle est réduite en cendres. « Ils n’ont rien pu sur moi » ; parce qu’ils n’ont pu m’amener à leurs desseins, ni me faire ce qu’ils sont eux-mêmes. « Les pécheurs ont forgé sur mon dos, ils ont éloigné leur injustice ». Ils ont fait ce que j’ai dû supporter, et non ce qui eût mérité mon assentiment. Ainsi leur injustice est déjà loin de moi. Les méchants sont mêlés aux bons, non seulement dans ce monde, mais jusque dans l’Église, ils sont mêlés aux bons. Vous le savez, et vous en faites l’expérience ; et vous en ferez encore plus l’expérience à mesure

  1. Ps. 14,3
  2. Isa. 40,8
  3. Lc. 8,15
  4. Mt. 13,27-43