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pour nous expliquer ce mot de Pâque, qui, je l’ai dit, signifie passage, commence ainsi : « Avant le jour de la fête de Pâques, Jésus sachant que son heure était venue de passer « de ce monde à son Père ». Voilà la Pâque, voilà le passage : le passage de quel endroit à quel endroit ? « De ce monde à son Père ». Et ce passage du chef donne à ses membres une ferme espérance qu’ils le suivront. Mais que deviendront les infidèles, et ceux qui sont séparés de ce chef et de son corps ? Ne passeront-ils pas aussi, puisqu’ils ne demeureront pas toujours à leur place ? Ils passeront assurément eux-mêmes ; mais autre chose est de passer de ce monde, autre chose est de passer avec ce monde ; autre chose est de passer vers le Père, autre chose est de passer à l’ennemi. Les Égyptiens aussi ont passé ; mais s’ils ont passé la mer, ç’a été pour tomber dans les bras de la mort, et non pour entrer dans le royaume de Dieu.
2. « Jésus donc sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin ». Sans doute afin qu’ils fussent à même de passer de ce monde où ils se trouvaient vers leur chef qui en était sorti. Que veut dire, en effet, « jusqu’à la fin », sinon jusqu’à Jésus-Christ ? « Jésus-Christ », dit l’Apôtre, « est la fin de la loi, pour la justification de tous ceux qui croient [1] ». Il est la fin, non pas où finissent les choses, mais où elles trouvent leur perfection ; la fin où nous devons parvenir, mais non trouver la mort. C’est en ce sens qu’il faut entendre ces mots : « Jésus-Christ, notre Pâque, a été immolé [2] ». Il est notre fin, c’est à lui que nous devons passer. Je sais bien que ces paroles de notre Évangile peuvent s’entendre d’une manière tout humaine ; voici comment : puisqu’il a aimé les siens jusqu’à la mort, on peut dire « qu’il les a aimés jusqu’à la fin ». Mais c’est là un sentiment tout humain, qui n’a rien de divin. Il ne nous a pas aimés seulement jusqu’à la mort, puisqu’il nous a toujours aimés et qu’il nous aimera sans cesse. Loin de nous la pensée que son amour ait fini par sa mort, puisqu’il n’a pas lui-même fini par la mort. Le riche superbe et impie de l’Évangile a aimé ses cinq frères, même après sa mort [3]. Et Jésus-Christ ne nous aurait aimés que jusqu’à sa mort ? Dieu nous garde de le penser, mes très-chers frères. Car il ne nous aurait pas aimés jusqu’à mourir pour nous, si son amour avait dû finir avec sa mort. On pourrait néanmoins entendre ces paroles : « Il les a aimés jusqu’à la fin », en ce sens qu’il les a aimés au point de vouloir mourir pour eux. Il l’a témoigné lui-même en disant : « Personne ne « peut montrer un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis [4] ». C’est pourquoi je n’improuve pas ceux qui veulent que ces paroles : « Il les aima jusqu’à la fin », signifient que son amour l’a conduit jusqu’à mourir pour eux.
3. « Et après que le souper fut fait, le diable ayant déjà mis dans le tueur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, Jésus sachant que le Père lui avait donné toutes choses entre les mains, et qu’il était sorti de Dieu, et qu’il retournait à Dieu, se lève du souper, quitte ses vêtements, et, ayant pris un linge, il s’en ceignit. Ensuite il versa de l’eau dans un bassin et commença à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint ». Par ces mots, après que le souper fut fait, nous ne devons pas entendre que le souper était terminé et achevé ; car on était encore à table lorsque Notre-Seigneur se leva et lava les pieds de ses disciples. Après cela, en effet, il se remit à table, et c’est alors qu’il donna le morceau de pain à celui qui devait le trahir. Le repas n’était donc pas fini, puisqu’il y avait encore du pain sur la table. Ainsi donc, après le souper veut dire après que le souper fut préparé et servi sur la table prêt à être mangé.
4. Quant à ce qu’il est dit « que le diable avait déjà mis dans le cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le trahir », si vous demandez ce qui fut mis dans le cœur de Judas, évidemment ce fut le « dessein de le trahir ». Cette transmission d’un pareil dessein est une suggestion toute spirituelle elle ne se fait point par les oreilles, mais par la pensée ; le corps n’y a aucune part, tout se passe dans l’esprit. Car tout ce qui est appelé spirituel ne doit pas toujours être pris en bonne part. L’Apôtre parle des esprits de malice répandus dans l’air, et contre lesquels il assure que nous avons à lutter. Or, il n’y aurait point de méchancetés spirituelles[5], s’il n’y

  1. Rom. 10, 4
  2. 1 Cor. 5, 7
  3. Lc. 16, 27-28
  4. Jn. 15, 13
  5. Eph. 6, 12