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n’ont pu croire, quel est le péché d’un homme qui ne fait pas ce qu’il ne peut pas faire ? Et puisqu’ils ont péché en ne croyant pas, ils ont donc pu croire et ils ne l’ont pas voulu. Mais s’ils ont pu croire, comment l’Évangile peut-il dire : « C’est pourquoi ils ne pouvaient pas croire, car Isaïe dit encore : Il a aveuglé leurs yeux et endurci leurs cœurs » ; de la sorte, ce qui est plus grave, la cause de leur incrédulité retombe sur Dieu lui-même, puisque c’est lui-même qui « a aveuglé leurs « yeux et endurci leurs cœurs ? » Ce n’est pas même au diable, c’est à Dieu que se rapportent les paroles du Prophète. Mais quand nous penserions que c’est du diable qu’il a été dit qu’ « il a aveuglé leurs yeux et endurci leurs cœurs », nous ne serions pas moins embarrassés pour montrer que c’était une faute pour les Juifs de ne pas croire, puisqu’il est dit qu’ « ils ne pouvaient pas croire ». Ensuite, que répondrons-nous à cet autre témoignage du même Prophète, cité par l’apôtre Paul : « Ce que cherchait Israël, il ne l’a pas obtenu ; mais les élus l’ont obtenu, et les autres ont été aveuglés, ainsi qu’il est écrit : Dieu leur a donné jusqu’à ce jour un esprit d’assoupissement, des yeux pour ne point voir, des « oreilles pour ne pas entendre[1] ».
6. Vous avez entendu, mes frères, la question proposée, vous voyez combien est profonde la difficulté qu’elle soulève. Nous répondrons comme nous le pouvons : « Ils ne « pouvaient pas croire n, parce que le prophète Isaïe l’avait prédit ; mais le Prophète l’a prédit parce que Dieu avait prévu qu’il en serait ainsi. Or, pourquoi ne pouvaient-ils pas croire ? Si on me le demande, je répondrai aussitôt : C’est qu’ils ne voulaient pas. Dieu avait prévu leur mauvaise volonté, et il l’a annoncée par son Prophète, lui a qui les choses futures ne peuvent être cachées. Mais, diras-tu, le Prophète en donne une autre raison que leur mauvaise volonté. Quelle cause en indique-t-il donc ? Il dit que « Dieu leur a donné un esprit d’insensibilité, des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre ; il a aveuglé leurs yeux et endurci leurs cœurs ». Je réponds que c’est encore leur volonté qui leur a mérité ce traitement. Car Dieu nous aveugle, Dieu nous endurcit en nous abandonnant et en retirant ses secours ; ce qu’il peut faire par un jugement caché, mais toujours juste. Voilà ce que les hommes pieux et religieux doivent tenir pour certain et incontestable ; voilà bien ce que l’Apôtre dit en traitant cette question si épineuse : « Que dirons-nous donc ? Est-ce qu’il y a en Dieu de l’injustice ? Loin de nous cette pensée [2] ». Si donc il faut repousser la pensée qu’il y ait en Dieu de l’injustice, concluons que, quand il nous aide, il le fait dans sa miséricorde ; et que quand il cesse de nous aider, c’est un effet de sa justice ; car tout ce qu’il fait, il le fait non pas avec témérité, mais avec justice. Enfin, si les jugements des saints sont justes, combien plus équitables sont les jugements de Dieu qui fait les saints et les justes ? Ses jugements sont donc justes, mais cachés. Aussi, lorsque des difficultés de cette nature se présentent et qu’on demande pourquoi l’un est traité d’une façon et l’autre d’une manière différente, pourquoi l’un est abandonné de Dieu et tombe dans l’aveuglement, tandis que tel autre est assisté et éclairé d’en haut, gardons-nous de juger les jugements d’un si grand juge ; ou plutôt, tremblons et écrions-nous avec l’Apôtre : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables [3] ! » C’est pourquoi il est dit dans un psaume : « Vos jugements sont comme un profond abîme [4] ».
7. Que votre charité, mes frères, ne me pousse donc pas à pénétrer cette difficulté, à sonder cet abîme, à scruter ces profondeurs insondables. Je connais ma capacité, je crois connaître aussi la vôtre : cette entreprise est au-dessus de ma portée et de mes forces, et probablement aussi au-dessus des vôtres. Écoutons donc les uns et les autres les avertissements de l’Écriture qui nous dit : « Ne cherche pas ce qui est au-dessus de toi, et ne scrute point ce qui est plus fort que toi [5] ». Non pas que cette connaissance nous soit absolument refusée, puisque le divin Maître nous dit : « Il n’est rien de caché qui ne doive être révélé [6] ». Mais si nous arrivons à connaître quelque chose, vivons en conséquence ; car, comme dit l’Apôtre, non seulement ce que nous ignorons et devons néanmoins savoir, mais encore ce en quoi il nous arriverait de nous tromper ; tout cela,

  1. Rom. 11, 7 ; Isa. 6, 10
  2. Rom. 9, 14
  3. Rom. 9, 14
  4. Ps. 35, 7
  5. Sir. 3, 22
  6. Mt. 10, 26