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point aux uns : Je suis une bonne odeur pour la vie ; aux autres : une mauvaise odeur pour la mort ; il dit qu’il est une bonne odeur et non une mauvaise, et cette même bonne odeur donne, selon lui, la vie aux uns et aux autres elle donne la mort. Heureux ceux que la bonne odeur fait vivre ; mais y a-t-il rien de plus malheureux que de trouver dans la bonne odeur un principe de mort ?
8. Mais, dira quelqu’un, quel est celui que la bonne odeur fait mourir ? C’est là que s’applique ce que dit l’Apôtre : « Et qui est capable d’un tel ministère ? » Par quel incompréhensible secret Dieu agit-il de manière à ce que la même bonne odeur fasse vivre les bons et mourir les méchants ? Comment cela se fait-il ? Je vais tâcher de vous l’indiquer, autant, du moins, que Dieu daignera me le découvrir (peut-être y a-t-il sous ces paroles un sens plus profond que je ne saurais dévoiler) ; néanmoins je ne dois pas vous cacher ce que j’ai pu y voir. L’apôtre Paul était connu partout comme un homme de bien, vivant saintement, soutenant par sa bonne vie la justice qu’il annonçait par ses paroles, comme un docteur admirable et un fidèle dispensateur. Pour ce motif, les uns l’aimaient, d’autres lui portaient envie ; car en un certain endroit il dit lui-même de quelques-uns qu’ils annonçaient Jésus-Christ non avec pureté d’intention, mais par jalousie, « croyant », dit-il, « ajouter des peines à mes liens » ; mais qu’ajoute-t-il ? « Peu importe que Jésus-Christ soit annoncé par occasion ou par un vrai zèle, pourvu qu’il soit annoncé [1] ». Ceux qui m’aiment l’annoncent, ceux qui me portent envie l’annoncent aussi – les uns vivent de la bonne odeur, les autres en meurent ; cependant, que par les uns et par les autres le nom de Jésus-Christ soit annoncé, et que le monde soit rempli de son odeur si précieuse. Aimes-tu celui qui fait le bien ? la bonne odeur te fait vivre ; portes-tu envie à celui qui fait le bien ? la bonne odeur te fait mourir. Mais parce que tu as voulu mourir, as-tu pour cela rendu mauvaise cette odeur ? Ne porte envie à personne, et la bonne odeur ne te fera pas mourir.
9. Enfin, écoutez encore comment ce parfum fut pour les uns une bonne odeur pour la vie, et pour les autres une bonne odeur pour la mort. Lorsque Marie, dans sa piété, eut fait cela pour marquer son respect à l’égard du Seigneur, aussitôt « un de ses disciples, Judas Iscariote, qui devait le trahir, dit : Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu trois cents deniers, et ne les a-t-on pas donnés aux pauvres ? » Malheur à toi, misérable, la bonne odeur t’a tué ! Pourquoi a-t-il tenu ce langage ? c’est ce que le saint Évangéliste nous découvre. Si l’Évangile ne nous avait fait connaître son intention, nous nous serions imaginé qu’il avait ainsi parlé par amour pour les pauvres ; mais non : quoi donc ? Écoute ce que dit un témoin véridique : « Il dit cela, non qu’il eût souci des pauvres mais parce qu’il était larron ; il portait la bourse et gardait ce qu’on y mettait ». Le portait-il ou bien l’emportait-il ? Il le portait comme économe, il l’emportait comme larron.
10. Vous apprenez par là que ce Judas ne commença pas à se pervertir au moment où, gagné par les Juifs, il leur livra le Seigneur. Plusieurs, n’étudiant pas l’Évangile, croient que Judas se perdit alors seulement qu’il reçut des Juifs de l’argent pour leur livrer le Seigneur. Non, ce n’est pas alors qu’il se perdit, il était déjà voleur, et bien qu’il marchât à la suite du Sauveur, il était déjà perdu ; c’est qu’il le suivait, non de cœur, mais de corps. Il complétait le nombre douze qui était celui des Apôtres ; mais il n’avait pas la grâce des Apôtres, il n’était le douzième qu’en apparence. À sa mort, un autre lui succéda, et le nombre apostolique fut complété, et il demeura, intact [2]. Qu’est-ce donc, mes frères, que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu apprendre à son Église, en permettant qu’un homme ainsi pervers se trouvât parmi les douze Apôtres ? n’a-t-il pas voulu nous apprendre à supporter les méchants et à ne pas diviser son corps ? Voilà Judas au milieu des saints, et Judas est un voleur ; fais-y attention, ce n’est pas un voleur ordinaire, il est voleur et sacrilège ; voleur d’argent, mais de l’argent du Seigneur ; voleur d’argent, mais d’argent sacré. En justice, on distingue entre le vol ordinaire et le péculat : le péculat est le vol de ce qui appartient au public, et le vol d’une chose privée n’est pas jugé aussi grave que celui d’une chose appartenant à l’État : avec quelle sévérité ne sera donc pas jugé le voleur sacrilège, qui ose enlever nonce

  1. Phil. 1, 17, 18
  2. Act. 1, 26