Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/668

Cette page n’a pas encore été corrigée

les entendre. Nous écoutions avec admiration, comme en présence d’un grand miracle étalé à nos regards, lorsqu’on nous lisait dans l’Évangile de quelle manière Lazare a été ressuscité. Si nous y réfléchissons, par une opération bien plus admirable de Jésus-Christ, tout homme qui croit ressuscite : et si nous reportons notre attention sur tous ceux qui meurent, et si nous pensons au genre de mort le plus lamentable, celui qui pèche se fait mourir. La mort du corps, tout homme la craint, et la mort de l’âme, bien peu la redoutent. Pour la mort du corps, qui, sans aucun doute, doit arriver un jour, tous cherchent à l’empêcher de venir : c’est là tout leur travail. Il travaille à ne pas mourir, l’homme qui doit mourir, et l’homme qui doit vivre éternellement, ne travaille pas à ne point pécher, et lorsqu’il travaille à ne pas mourir, il s’occupe inutilement : car ce qu’il fait ne peut servir qu’à différer l’heure de la mort et non à l’éloigner tout à fait. Si, au contraire, il voulait ne pas pécher, il n’aurait pas tant de peine et il vivrait éternellement. Oh ! si nous pouvions exciter les hommes et nous exciter nous-mêmes avec eux à aimer la vie permanente autant qu’ils aiment cette vie fugitive ! Que ne fait pas l’homme tombé en danger de mort ? En voyant le glaive suspendu sur leur tête, plusieurs ont livré ce qu’ils avaient en réserve pour assurer leur vie. Quel est celui qui n’aurait pas tout donné pour n’être pas frappé ? Et après cet abandon peut-être a-t-il été frappé. Quel est celui qui, pour vivre, ne consentirait pas à l’instant à perdre ce qui le faisait vivre, préférant une vie de mendiant à une prompte mort ? Quel est celui à qui l’on adit : Embarque-toi, si tu ne veux pas mourir, et qui a hésité ? Quel est celui à qui l’on a dit : Travaille, si tu ne veux pas mourir, et qui a été paresseux ? Ils sont bien légers les ordres que Dieu nous donne pour nous faire obtenir une vie éternelle, et nous négligeons de lui obéir ! Dieu ne te dit pas : Sacrifie tout ce que tu as, pour vivre pendant un temps bien court, et accablé de soucis ; mais il dit : Donne aux pauvres une partie de ce que tu as, si tu veux vivre toujours et à l’abri de toute peine. Ils sont notre condamnation, les amateurs de cette vie temporelle qu’ils n’ont ni quand ils veulent, ni aussi longtemps qu’ils le veulent, et nous ne nous condamnons pas nous-mêmes, nous qui nous montrons si paresseux, si lâches à ne quérir la vie éternelle, que nous aurons si nous le voulons, et que nous ne perdions jamais quand nous l’aurons. Et cette mort que nous craignons tant, nous la subirons malgré nous.
3. Si donc le Seigneur par sa grâce et sa miséricorde infinie ressuscite nos âmes pour nous garantir de la mort éternelle, nous devons bien le comprendre, ces trois morts qu’il ressuscita dans leurs corps signifient quelque chose, et ils figurent la résurrection des âmes qui se fait par la foi. Il a ressuscité la fille du chef de la synagogue lorsqu’elle était encore étendue dans sa demeure [1] ; il a ressuscité le jeune fils de la veuve qu’on portait déjà hors de la ville[2] ; il a ressuscité Lazare enseveli depuis quatre jours. Que chacun examine l’état de son âme : si elle pèche, elle meurt ; le péché, c’est la mort de l’âme. Mais quelquefois on pèche en pensée. Ce qui est mal t’a causé du plaisir. Tu as consenti, tu as péché. Ce péché t’a donné le coup de la mort ; mais la mort est à l’intérieur, parce que la mauvaise pensée ne s’est pas réduite en acte. Voulant montrer qu’il ressusciterait cette âme, le Seigneur ressuscita cette jeune fille qui n’avait pas encore été portée dehors, mais qui gisait sans vie dans sa demeure, indiquant par là un péché caché. Toutefois, si tu ne t’es pas borné à consentir à la mauvaise pensée, mais qu’en outre tu aies fait le mal, tu as transporté le mort en dehors des portes ; tu es dehors, et tu es emporté mort. Cependant le Seigneur ressuscita aussi ce mort et le rendit à sa mère qui était veuve. Si tu as péché, fais pénitence ; et le Seigneur te ressuscitera et te rendra à l’Église, ta mère. Le troisième mort est Lazare. Il y a un genre de mort bien cruel : on l’appelle la mauvaise habitude ; car autre chose est de pécher, autre chose est de contracter l’habitude du péché. Celui qui pèche et qui se corrige aussitôt, revient bien vite à la vie ; comme il n’est pas encore enlacé par l’habitude, il n’est pas encore enseveli. Mais celui qui a l’habitude de pécher est enseveli, et l’on dit de lui avec raison : Il sent mauvais. Car il commence à avoir une mauvaise réputation, qui se répand autour de lui comme une odeur insupportable. Tels sont tous ceux qui s’accoutument aux crimes, qui sont perdus de mœurs. Tu lui dis : N’agis pas ainsi ; est-ce qu’il t’entend, celui que la terre étouffe, que la corruption

  1. Mc. 5, 41, 42
  2. Lc. 7, 14-15