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un certain temps sans être le Fils ; loin de nous de dire qu’il y a eu un temps où le Seigneur-Christ a existé sans être le Fils. De nous, cela peut se dire ; pendant un temps nous étions fils des hommes, nous n’étions pas fils de Dieu. Nous, c’est la grâce qui nous a faits fils de Dieu ; Lui, c’est sa nature, parce qu’il est né tel, et vous n’avez pas lieu de dire : Il n’était pas avant d’être né ; car en aucun temps on ne peut dire : Il n’était pas né, Celui qui est coéternel au Père. Que celui qui goûte ces choses comprenne ; s’il ne comprend pas, qu’il croie ; qu’il s’en nourrisse et il comprendra. Le Verbe de Dieu est toujours avec le Père et toujours Verbe ; et parce qu’il est le Verbe, il est le Fils. Il est donc toujours le Fils et toujours égal au Père. Car ce n’est pas en raison de sa croissance, mais en raison de sa naissance qu’il est égal au Père, lui qui toujours est né Fils du Père, Dieu de Dieu, coéternel de l’Éternel. Le Père n’est pas Dieu par son Fils, tandis que le Fils est Dieu par son Père. C’est pourquoi le Père, en engendrant son Fils, lui a donné d’être Dieu et de lui être coéternel et égal. Voilà ce qui est plus grand que toutes choses. Mais comment le Fils est-il la vie, et comment le Fils a-t-il la vie ? C’est qu’il est lui-même ce qu’il a : pour toi, autre chose est ce que tu es, autre chose est ce que tu as. Par exemple, tu as la sagesse, es-tu pour cela la sagesse même ? C’est pourquoi, comme tu n’es pas toi-même ce que tu as, si tu perds ce que tu as, tu reviens à ne plus l’avoir ; et tantôt tu le reprends, et tantôt tu le perds. C’est ainsi que notre œil n’a pas en lui-même la lumière, de manière à n’en être jamais séparé : il s’ouvre et il la reçoit ; il se ferme et il la perd. Mais ce n’est pas ainsi que le Fils de Dieu est Dieu ; ce n’est pas ainsi qu’est le Verbe du Père ; ce n’est pas ainsi qu’est cette Parole qui ne s’évanouit pas avec le son, mais qui, étant née, demeure toujours. Il a la sagesse de telle sorte qu’il est lui-même la sagesse et qu’il fait les sages. Il a la vie de telle façon qu’il est lui-même la vie et qu’il fait vivre tout ce qui vit. Voilà ce qui est plus grand que toutes choses. L’Évangéliste Jean, voulant parler du Fils de Dieu, a considéré le ciel et la terre ; et après les avoir considérés, il s’est élevé au-dessus d’eux ; il a considéré les milliers d’anges rangés en bataille bien au-dessus du ciel, et comme l’aigle s’élève au-dessus des nues, son âme s’est élevée au-dessus de toute créature ; il s’est élevé au-dessus de tout ce qui est grand ; il est parvenu à ce qui est plus grand que toutes choses, et il a dit : « Au commencement était le Verbe [1] ». Mais comme Celui dont il est le Verbe n’est pas du Verbe, et que le Verbe est de Celui dont il est le Verbe, il dit : « Ce que m’a donné le Père », c’est-à-dire que je sois son Verbe, que je sois son Fils unique, que je sois la splendeur de sa lumière, « ce que m’a donné le Père est plus grand que toutes choses ». C’est pourquoi « personne ne ravit », dit-il, « mes brebis de ma main. « Personne ne peut les enlever de la main de mon Père ».
7. « De ma main » et « de la main de mon Père ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Personne ne ravit de ma main », et : « personne ne ravit de la main de mon Père ? » Est-ce que la main du Père est la même que la main du Fils ? ou bien le Fils lui-même est-il la main de son Père ? Si, par la main, nous entendons la puissance, une est la puissance du Père et du Fils, parce que une est leur divinité. Mais si cette main nous l’entendons dans le sens du Prophète : « Et le bras du Seigneur à qui a-t-il été révélé[2] ? » le Fils est lui-même la main du Père. Ce qui ne veut pas dire que Dieu a la forme humaine et un corps composé de membres. Car les hommes eux-mêmes ont coutume de nommer leurs mains les autres hommes par l’intermédiaire desquels ils font ce qu’ils veulent. Quelquefois aussi on appelle main d’un homme l’œuvre que cet homme fait avec sa main ; c’est ainsi que chacun dit reconnaître sa main lorsqu’il reconnaît ce qu’il a écrit. Si donc on entend de plusieurs façons la main de l’homme qui a réellement une main parmi les membres de son corps, à combien plus juste titre ne devons-nous pas entendre d’une seule manière ce qui est dit de la main de Dieu qui n’a aucune forme corporelle ? En cet endroit il vaut mieux, par la main du Père et du Fils, entendre la puissance du Père et du Fils ; car nous prenons la main du Père pour le Fils. Quelqu’un, dans une pensée toute charnelle, pourrait s’imaginer que le Fils a aussi un Fils, et regarder celui-ci comme la main du Christ. Donc : « Personne ne ravit de la main de mon Père » ; c’est-à-dire, personne ne ravit à moi-même.

  1. Jn. 1, 1
  2. Isa. 53, 1