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pas, cette valeur ; je ne fais que vous l’annoncer. Celui qui a versé pour vous son sang, vous a achetés, et ce sang précieux est le sang de Celui qui est sans péché. Et Celui-là a donné de la valeur au sang des fidèles pour lesquels il a répandu son précieux sang ; s’il ne lui avait pas communiqué cette valeur, il ne serait pas dit : « La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur [1] ». Par conséquent, il n’a pas été le seul à mettre en pratique ces paroles : « Le bon pasteur donne a sa vie pour ses brebis ». Et puisque ceux qui l’ont fait sont ses membres, il est, à vrai dire, le seul qui l’ait fait. Sans eux, il a pu agir de la sorte ; mais qu’auraient-ils pu faire sans lui, puisqu’il a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire [2] ? » La preuve que les autres ont donné leur vie pour leurs brebis, je la trouve dans une épître de ce même apôtre Jean, qui a écrit l’Évangile dont on vous a donné lecture : « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous donner la nôtre pour nos frères [3] ». « Nous a devons » ; en nous donnant l’exemple, il nous a imposé l’obligation de ce sacrifice. C’est pourquoi il est écrit quelque part : « Quand tu seras assis pour manger avec le roi, considère attentivement ce qu’on placera devant toi : tends alors la main, et sache qu’il te faut préparer de telles choses[4] ». Cette table du roi, quelle est-elle ? Vous le savez. Là se trouvent le corps et le sang de Jésus-Christ : celui qui s’approche d’une pareille table doit préparer de pareilles choses. Qu’est-ce à dire : il doit préparer de pareilles choses ? « Comme le Christ a donné sa vie pour nous, ainsi devons-nous », pour l’édification du peuple et l’affirmation de notre foi, « donner la nôtre pour nos frères ». Aussi le Sauveur dit-il à Pierre, dont il voulait faire un bon pasteur, non en Pierre lui-même, mais dans son propre corps : « Pierre, m’aimes tu ? Pais mes brebis ». Il ne se contenta pas de lui parler ainsi une seule fois, il lui répéta ces paroles deux et trois fois, jusqu’à le contrister. Et quand il l’eut interrogé autant de fois qu’il jugea à propos de le faire, pour obtenir de lui une confession triple comme son reniement, quand il lui eut, pour la troisième fois, confié ses brebis, il lui dit : « Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais lorsque, dans ta vieillesse, tu étendras tes mains, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudras pas ». L’Évangéliste a donné l’explication des paroles du Sauveur ; la voici : « Il dit cela, pour marquer par quelle mort il devait glorifier Dieu [5] ». Ces mots : « Pais a mes brebis », signifient donc : Tu dois donner ta vie pour tes brebis.
3. Quant aux paroles suivantes : « Comme le Père me connaît, ainsi je connais le Père », qui est-ce qui en ignore ? Il connaît le Père par lui-même ; nous le connaissons par lui. Qu’il connaisse son Père par lui-même, nous le savons : que nous le connaissions par le Christ, nous ne l’ignorons pas davantage, parce qu’en réalité il en est ainsi. N’a-t-il pas dit de lui-même : « Nul n’a jamais vu Dieu, sinon le Fils unique, qui est dans le sein du Père : il nous l’a manifesté lui-même [6] ? » Il nous l’a donc fait connaître, puisqu’il nous l’a manifesté. Il dit encore ailleurs : « Nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler [7] ». Comme il connaît le Père par lui-même, et que nous le connaissons par lui ; ainsi, il entre par lui-même dans la bergerie, et nous y entrons par lui. Nous disions que, par le Christ, nous avons une porte pour arriver jusqu’à vous : comment cela ? Parce que nous prêchons le Christ. Nous prêchons le Christ ; aussi entrons-nous par la porte. Le Christ prêche le Christ, parce qu’il se prêche lui-même ; d’où il suit que le pasteur entre par lui-même. Puisque la lumière fait voir tous les autres êtres qui se voient à la faveur de ses rayons, aurait-elle elle-même besoin d’un secours étranger pour se faire voir ? La lumière fait apercevoir les objets étrangers, et du même coup, elle se fait apercevoir elle-même. Tout ce que nous comprenons, nous le comprenons au moyen de notre intelligence ; et notre intelligence, comment en avons-nous la connaissance, sinon par elle-même ? En est-il de même de nos yeux, et se font-ils voir en même temps qu’ils montrent les objets environnants ? Non, car si l’homme aperçoit les autres avec ses yeux, il ne les aperçoit pas eux-mêmes. Les yeux de notre corps voient autour d’eux, mais ils ne se voient pas : quant à notre intelligence, elle comprend

  1. Ps. 115, 15
  2. Jn. 15, 5
  3. 1 Jn. 3, 16
  4. Prov. 23, 1-2, suiv. les Septante
  5. Jn. 21, 15-19
  6. Id. 1, 18
  7. Mt. 9, 27