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et maintenant nous le voyons s’accomplir. Le Prophète prie comme pour l’avenir, lui qui, tout à l’heure, annonçait l’avenir sous la forme du passé : « Seigneur, mettez fin à notre captivité ». La captivité n’était donc point terminée encore, puisque le Rédempteur n’était point encore arrivé. Cette prière que l’on faisait à Dieu quand on chantait ces psaumes est donc maintenant accomplie : « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent ». De même que le vent du Midi fait couler les torrents, faites cesser notre captivité. Vous cherchez ce que cela signifie, vous le saurez bientôt, avec le secours de Dieu et par vos prières. Dans un endroit de l’Écriture, qui nous conseille et nous commande les bonnes œuvres, il est dit : « Vos péchés seront dissous, comme la glace sous un ciel serein[1] ». Donc nos péchés nous resserraient. Comment ? Comme la glace resserre l’eau et l’empêche de couler. Le froid de nos péchés nous a gelés sous ses étreintes. Mais le vent du Midi est très chaud : quand il souffle, il dissout les glaces, et les torrents se remplissent. On appelle torrents ces fleuves de l’hiver grossis tout à coup par les eaux et qui coulent avec fracas. La captivité nous avait donc gelés, nos péchés nous tenaient enchaînés ; mais le vent du Midi ou l’Esprit-Saint a soufflé ; nos péchés nous ont été remis et nous avons été dégagés du froid de l’iniquité, nos péchés ont fondu comme la glace au vent du Midi. Courons donc vers notre patrie comme les torrents au souffle du midi. Le bien nous a valu des tribulations, il nous en amène encore. Car la vie humaine, dans laquelle nous sommes entrés, est un tissu de misères, de travaux, de douleurs, de périls, d’afflictions, de tentations. Ne vous laissez point séduire par les vaines joies du monde, et voyez dans les choses d’ici-bas ce qu’il faut pleurer. L’enfant qui vient de naître pouvait rire tout d’abord ; pourquoi commence-t-il sa vie en pleurant ? Pourquoi sait-il déjà pleurer, quand il ne sait point rire encore ? C’est parce qu’il est entré dans cette vie. S’il est au nombre de nos captifs, il gémit, il pleure ; mais la joie viendra un jour.
11. Car, notre psaume l’a dit : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie[2] ». Semons en cette vie qui est pleine de larmes. Que sèmerons-nous ? Des bonnes œuvres. Les œuvres de miséricorde, voilà ce que nous semons, et à ce propos saint Paul vous dit : « Ne nous lassons pas de faire le bien, si nous ne perdons pas courage, nous moissonnerons dans le temps. C’est pourquoi pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais principalement aux serviteurs de la foi[3] ». Et que dit-il en parlant de l’aumône ? « Or, je vous le dis : Celui qui sème peu, moissonne peu[4] ». Donc celui qui sème beaucoup, moissonnera beaucoup : « Celui qui sème peu, moissonnera peu » ; et celui qui ne sème peu, ne moissonnera rien. Pourquoi convoiter de vastes campagnes pour y semer beaucoup de grain ? Vous ne sauriez trouver, pour jeter vos semences, un plus vaste champ que le Christ qui a voulu qu’on semât en lui. Votre terre est l’Église, semez-y autant que vous pourrez. Mais tu n’as que peu à semer, diras-tu. As-tu du moins la volonté ? Comme, sans elle, tout ce que tu pourrais avoir ne serait rien ; de même, avec elle, ne t’afflige pas de ne rien avoir. Que sèmes-tu en effet ? La miséricorde. Que moissonneras-tu ? La paix. Or, les anges ont-ils dit : Paix sur la terre aux hommes riches ; et n’est-ce point : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[5] ? » Zachée avait beaucoup de volonté, une grande charité. Il reçut chez lui le Seigneur, le reçut avec joie, promit de donner aux pauvres la moitié de son bien, et de rendre au quadruple ce qu’il pouvait avoir pris[6] ; afin de te montrer que s’il retenait la moitié de son bien, c’était moins pour le plaisir de le posséder, que pour avoir de quoi restituer. C’est là une grande volonté, c’est là donner beaucoup, semer beaucoup. Mais cette veuve qui ne donna que deux petites pièces, aurait-elle donc peu semé ? Autant que Zachée. Ses biens étaient moindres, sa volonté était égale[7]. Elle donna deux pièces de monnaie avec autant de bonne volonté, que Zachée la moitié de ses biens. À considérer le don, il est différent ; mais à considérer la volonté, elle est semblable. La femme donna ce qu’elle avait, comme Zachée donna ce qu’il avait.
12. Supposons un homme qui n’ait pas même les deux pièces de cette veuve ; y a-t-il quelque chose de moindre prix que nous puissions semer pour recueillir une telle moisson ? Oui. « Quiconque aura donné à

  1. Eccl. 3,17
  2. Ps. 125,5
  3. Gal. 6,8-10
  4. 2 Cor. 9,6
  5. Lc. 2,14
  6. Id. 19,6-8
  7. Id. 21,1-4