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pas qu’on les égorgeait ; néanmoins, lorsque ces brebis errantes sont rentrées dans la bergerie, elles reconnaissent la voix du pasteur, éprouvent une grande joie de s’être replacées sous sa houlette, et rougissent de s’en être écartées. Maintenant, quand ils étaient aussi fiers de suivre l’erreur que s’ils avaient suivi la vérité, ils n’entendaient certainement pas la voix du pasteur, et ils marchaient sur les traces d’un étranger : alors, étaient-ils des brebis, ou n’en étaient-ils pas ? S’ils étaient des brebis, peut-on dire que des brebis n’écoutent pas l’étranger ? S’ils n’en étaient pas, pourquoi le Seigneur fait-il ce reproche aux pasteurs : « Vous n’avez point rappelé la brebis égarée ? » Il se présente quelquefois des circonstances déplorables dans la vie des chrétiens devenus catholiques, dans l’existence des fidèles qui nourrissent, pour l’avenir, de légitimes espérances. Ils se laissent aller à l’erreur et reviennent ensuite à la vérité. Quand ils sont tombés dans l’erreur, et qu’ils ont reçu une seconde fois le baptême, ou bien, quand après avoir fait partie du troupeau du Christ, ils sont retombés dans leurs précédentes erreurs, étaient-ils des brebis ou n’en étaient-ils pas ? Évidemment, ils étaient catholiques ; s’ils étaient catholiques fidèles, ils étaient des brebis, et s’ils étaient des brebis, comment ont-ils pu entendre la voix d’un étranger, puisque le Sauveur a dit : « Les brebis ne les ont pas entendus ? »
12. Vous le voyez, mes frères, la question est très difficile à éclaircir. Je dis donc : « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent [1] ». Il connaît ceux qu’il a choisis d’avance, il connaît les prédestinés ; car il est écrit de lui : « Ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils, afin qu’il fût lui-même le premier-né entre plusieurs frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés, et ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et ceux qu’il a prédestinés, il les a glorifiés. Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Ajoute encore ceci : « S’il n’a pas épargné son propre Fils, et s’il l’a livré à la mort pour nous, que ne nous donnera-t-il point, après nous l’avoir donné ? » Mais qui, nous ? Ceux qu’il a connus d’avance, ceux qu’il a prédestinés, justifiés et glorifiés, ceux dont il est dit ensuite : « Qui accusera les élus de Dieu [2] ? » « Le Seigneur connaît donc ceux qui lui appartiennent » ; ce sont ses brebis. Souvent elles s’ignorent elles-mêmes, mais le pasteur les connaît, en conséquence de cette prédestination, de cette prescience de Dieu, de ce choix de ses brebis, qu’il a fait avant la création du monde ; c’est ce que dit l’Apôtre : « Comme il nous a élus en lui avant la création du monde [3] ». En raison de cette prescience et de cette prédestination divines, que de brebis se trouvent en dehors du bercail ! que de loups se rencontrent au dedans ! et aussi, que de brebis au dedans ! que de loups au-dehors ! Mais pourquoi ai-je dit : Que de brebis en dehors du bercail ! Combien vivent aujourd’hui dans la débauche, qui deviendront chastes ! Combien blasphèment maintenant le Christ, qui croiront plus tard en lui ! Ils sont nombreux, les ivrognes qui se montreront sobres, les voleurs du bien d’autrui, qui donneront le leur. Néanmoins, ils écoutent aujourd’hui une voix étrangère, ils suivent des étrangers. Au contraire, que de gens louent Dieu à cette heure, à l’intérieur de la bergerie, et le blasphémeront un jour ! Que de personnes chastes deviendront libertines ! Que d’hommes sobres se noieront dans le vin ! Que de chrétiens se tiennent fermes, et feront pourtant une lourde chute ! Ce ne sont point des brebis. (Nous parlons ici, bien entendu, des prédestinés, de ceux dont Dieu sait s’ils lui appartiennent.) Néanmoins, tant qu’ils sont dociles aux leçons de la sagesse, ils écoutent la voix du Christ. Les uns l’écoutent, et les autres ne l’écoutent pas ; mais si nous nous reportons à la prédestination, nous verrons que les premiers ne sont point les brebis du Sauveur, et que les seconds font partie de son troupeau.
13. Reste encore une difficulté, qui me semble maintenant pouvoir être ainsi résolue. Il y a une parole, il y a, dis-je, une parole du pasteur, d’après laquelle ses brebis n’écoutent pas les étrangers, et ceux qui ne sont pas ses brebis, ne l’écoutent pas lui-même. Quelle est cette parole ? « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, sera sauvé [4] ». Celui qui appartient au Christ, ne néglige pas cette parole ; celui qui lui est étranger, ne l’entend point. Le Sauveur le presse de persévérer en lui jusqu’à la fin ; mais, en ne persévérant

  1. 2 Tim. 2, 19
  2. Rom. 8, 29-33
  3. Eph. 1, 4
  4. Mt. 10, 22