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d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse, des autres patriarches et des autres Prophètes qui annonçaient le Christ, ceux-là en étaient les brebis ; ils ont entendu le Christ lui-même ; non une voix étrangère, mais sa propre voix. C’était un juge qui parlait par la bouche de son huissier ; car, lorsqu’un juge rend ses sentences par l’intermédiaire de l’huissier, le greffier n’écrit pas : l’huissier a prononcé ; c’est le juge qui a prononcé. Par conséquent, il en est d’autres que les brebis n’ont point entendus ; le Christ n’était pas avec eux ; ils se trompaient, ils disaient des faussetés, ils gazouillaient niaisement, imaginaient des inutilités et séduisaient des malheureux.
10. Mais pourquoi ai-je dit que ces paroles offraient une difficulté plus grande que les autres ? Qu’y a-t-il ici d’obscur et de difficile à comprendre ? Écoutez-moi, je vous en prie. Voilà que Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu et qu’il a prêché ; c’était, sans contredit, la voix par excellence du pasteur : ses paroles sortaient de la bouche même du pasteur. Si, en passant par l’organe des Prophètes, elles étaient bien celles du pasteur, que dire de celles qui tombaient de ses propres lèvres ? N’étaient-elles pas, plus que toutes les autres, les paroles du pasteur ? Tous ne l’ont pas entendu ; mais, à notre avis, ceux qui l’ont entendu étaient-ils ses brebis ? Judas l’a entendu : c’était un loup qui le suivait et lui tendait des embûches en se couvrant d’une peau de brebis. Quelques-uns de ceux qui crucifiaient le Sauveur ne l’entendaient pas, et faisaient pourtant partie de son troupeau, car il les apercevait au milieu de la foule, quand il disait : « Lorsque vous aurez élevé « le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis [1] ». De quelle manière trancher cette difficulté ? Il y en a qui l’écoutent, quoiqu’ils ne soient point ses brebis, et parmi ses brebis, il en est qui ne l’écoutent pas ; certains loups suivent le pasteur à la voix, et certaines brebis lui désobéissent : en fin de compte, on voit des brebis tuer leur pasteur. Voilà comment on résout la difficulté proposée. Quelqu’un répond en disant : Quand on ne l’écoutait pas, on n’était pas encore du nombre des brebis, mais du côté des loups ; dès qu’on a entendu sa voix, on s’est transformé : de loup on est devenu brebis ; à peine changé en brebis, on a entendu le pasteur, on l’a trouvé et suivi, et parce qu’on a obéi à ses ordres, on a espéré en ses promesses.
11. La difficulté est évidemment bien résolue, et l’explication que nous en avons donnée suffira peut-être à plusieurs. Pour moi, elle m’embarrasse encore, et l’embarras qu’elle me cause, je vous en fais part, afin qu’en cherchant en quelque sorte avec vous une solution plus complète, je mérite, par la grâce de Dieu, de la trouver avec vous. Apprenez donc ce qui me gêne en cela. Par la bouche du prophète Ezéchiel, le Seigneur fait des reproches aux pasteurs, et, entre autres choses, il dit ceci des brebis : « Vous n’avez point rappelé la brebis égarée[2] ». Il parle « d’une brebis », et il la dit « égarée » ; si, au moment où cette brebis se trouvait égarée, elle n’avait pas cessé d’être une brebis, de qui écoutait-elle la voix pour s’écarter ainsi du bon chemin ? Sans aucun doute, elle suivrait le droit chemin, si elle écoutait la voix du pasteur ; mais parce qu’elle a écouté celle d’un étranger, elle s’est éloignée de la bonne voie : elle s’est rendue attentive à la parole d’un voleur et d’un brigand. Il est sûr que les brebis ne prêtent point l’oreille aux appels des larrons. « Ceux qui sont venus », dit le Sauveur, et nous comprenons qu’il veut dire En dehors de moi : « Ceux qui sont venus en dehors de moi, sont des voleurs et des brigands, et les brebis ne les ont pas écoutés ». Seigneur, si les brebis ne les ont pas écoutés, comment ont-elles pu s’égarer ? Les brebis, vous le dites, n’écoutent que vous ; vous êtes la vérité même, et quiconque prête l’oreille à la vérité, ne s’égare pas. Pour ceux-là, ils se sont égarés, et on leur donne encore le nom de brebis : évidemment, on les appelle ainsi, même quand ils ont quitté le droit chemin ; sans cela, Ezéchiel n’aurait pas dit : « Vous n’avez point rappelé la brebis égarée ». Comment se fait-il qu’on se soit égaré sans démériter le nom de brebis ? A-t-on entendu la voix d’un étranger ? Certes, « les brebis ne les ont pas entendus ». Beaucoup sont choisis parmi les hérétiques pour entrer dans le bercail du Christ et devenir catholiques : on en enlève un bon nombre aux voleurs pour les rendre au pasteur : parfois ils murmurent, et conservent de la rancune à l’égard de celui qui les rappelle : ils ne comprennent

  1. Jn. 8,28
  2. Ez. 34, 4