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encore dans son lit, il n’en est point sorti pour commettre son vol ; il veille, il attend que les hommes soient endormis ; mais il parle déjà devant Dieu, il est déjà voleur, il est déjà impur ; son crime est déjà sorti de sa bouche intérieure. Quand est-ce, en effet, que le crime sort de la bouche ? Quand le dessein de le commettre est arrêté. Dès que tu as résolu de le faire, tu l’as dit, tu l’as fait. Si le vol n’est pas accompli extérieurement, c’est peut être que celui que tu voulais dépouiller ne méritait pas de perdre son bien. Il n’a rien perdu, et tu seras néanmoins traité comme un voleur. Tu as arrêté le dessein de tuer un homme ; tu t’as dit dans ton cœur, ta bouche intérieure a crié homicide cet homme vit encore, et tu seras châtié de ton homicide. Car on demandera ce que tu es devant Dieu, et non ce que tu parais aux yeux des hommes.
8. Nous voyons donc et nous devons comprendre, et bien retenir, que le cœur a sa bouche, que le cœur a sa langue. C’est la bouche qui est remplie de joie ; c’est par cette bouche intérieure que nous prions Dieu, quand nos lèvres sont closes et la conscience ouverte. Le silence règne, et le cœur pousse des cris ; mais aux oreilles de qui ? Non point de l’homme, mais de Dieu. Sois donc en assurance, il t’entend celui qui te prend en pitié. Mus au contraire, quand nul homme n’entendrait le mal sortir de ta bouche, dès qu’il en sort, ne sois plus en assurance, car il écoute celui qui peut te damner. Les juges d’iniquité n’entendaient point Suzanne qui priait en silence. L’homme n’entendait point sa voix, mais son cœur poussait des cris vers Dieu[1]. Et parce que sa voix ne sortait point des paroles de son cœur, n’a-t-elle point mérité d’être écoutée de Dieu ? Il l’écouta, sans doute, et nul homme n’entendit sa prière. Donc, mes frères, voyez ce que nous avons dans la bouche intérieure. Prenez garde que, sans faire le mal au-dehors, vous ne le disiez intérieurement. L’homme ne fait au-dehors que les actions qu’il a dites à l’intérieur. Éloigne tout mal de la bouche de ton cœur, et tu seras innocent, la langue de ton corps sera innocente, et tes mains seront innocentes ; tes pieds aussi seront innocents, tes yeux innocents, tes oreilles innocentes, tous tes membres combattront pour la justice, parce qu’un maître juste sera en possession de ton cœur.
9. « Alors on dira parmi les nations : Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait en leur faveur. Le Seigneur a manifesté sa gloire, en agissant pour nous ; il nous a comblés de joie[2] ». Voyez, mes frères, si ce n’est point là ce que Sion chante aujourd’hui parmi les peuples, dans l’univers entier : voyez si de toutes parts on ne vient point dans l’Église. Dans l’univers entier, on reçoit le prix de notre rançon, et l’on répond : Amen. Ils chantent, parmi les nations, ces captifs de Jérusalem, ces enfants de Jérusalem qui doivent y retourner un jour, qui sont en exil et qui soupirent après la patrie. Que disent-ils ? « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie ». Ont-ils eux-mêmes agi en leur faveur ? Ils n’ont pu que se nuire, parce qu’ils se sont vendus par le péché. Le Rédempteur est venu, et a fait en leur faveur de grandes choses : « Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour eux. Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie ».
10. « Seigneur, ramenez-nous de notre captivité, comme le vent du Midi ramène le torrent ». Que votre charité écoute bien ces paroles. Déjà il est dit : « Quand le Seigneur délivrait Sion de la captivité » ; et ce langage est au passé. Mais les Prophètes se servent souvent du passé pour prédire l’avenir. Car c’était au passé qu’il disait dans un autre psaume : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Il ne dit point : Ils perceront mes pieds ; ni : Ils compteront mes os ; ni : Ils partageront mes vêtements ; il ne dit point : Ils tireront ma robe au sort ; tout cela est pour l’avenir, et le Prophète en parle comme d’un passé. Car tout ce qui doit être, est, en Dieu, comme s’il était accompli. Quand donc le Prophète nous dit : « Lorsque le Seigneur délivrait Sion de la captivité, nous avons été comme ceux que l’on console ; alors notre bouche a été pleine de joie et notre langue d’allégresse », il nous montre que sous la figure du passé il annonce l’avenir, puisqu’il ajoute : « Alors on dira parmi les nations ». « On dira » est au futur. « Le Seigneur a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous : nous avons été comblés de joie ». Quand on chantait ces cantiques, tout cela devait arriver,

  1. Dan. 13,35 ss
  2. Ps. 125,3