Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/626

Cette page n’a pas encore été corrigée

le Fils de Dieu ; il va vous dire de qui vous êtes les enfants : « Le père dont vous êtes nés, c’est le démon ».
10. Ici, il faut éviter de tomber dans l’hérésie des Manichéens. Suivant eux, il y a un principe mauvais en soi, et une légion ténébreuse, commandée par ses chefs, et qui a osé engager une lutte contre Dieu. Pour ne point voir cette nation méchante détruire son royaume, ce Dieu a envoyé contre elle, comme d’autres lui-même, les princes des esprits lumineux ; la nation des ténèbres a été vaincue, et c’est à cela que le diable doit son origine. Les Manichéens font aussi dériver de là l’origine de notre corps ; en suivant le même ordre d’idées, ils attribuent ces paroles du Sauveur : « Le père dont vous êtes nés, c’est le démon », à ce que les Juifs venaient du principe mauvais, et qu’ils descendaient de la légion ennemie, du peuple des ténèbres. Voilà l’erreur et l’aveuglement de ces hérétiques, qui font d’eux-mêmes une nation de ténèbres, en croyant des faussetés à l’encontre de leur Créateur. Toute chose est bonne en elle-même ; mais la nature de l’homme a été viciée par sa volonté perverse. Ce que Dieu a fait ne peut être mauvais, l’homme seul peut se faire du mal ; mais, évidemment, le Créateur, c’est le Créateur ; la créature, c’est la créature ; elle ne peut être comparée au Créateur. Distinguez bien Celui qui a tout fait de ce qui a été fait par lui. Il n’y a de comparaison à établir ni entre un escabeau et un charpentier, ni entre une colonne et un sculpteur ; pourtant, si le charpentier a fait l’escabeau, il n’en a pas créé le bois. Parce que le Seigneur notre Dieu est tout-puissant, il a fait par son Verbe ce qu’il a fait ; mais pour faire ce qu’il a fait, il n’en avait pas à sa disposition la matière première ; et pourtant il l’a fait. Toutes choses ont été faites, parce qu’il l’a ordonné ; mais ces créatures ne peuvent être comparées nu Créateur. Tu lui cherches un terme de comparaison : tu le trouveras en son Fils unique. Pourquoi les Juifs étaient-ils les enfants du démon ? Parce qu’ils l’imitaient, et noir parce qu’ils en étaient nés. L’Écriture sainte parle d’ordinaire en ce sens ; en voici un exemple. Le Prophète dit à ce même peuple juif. « Ton père était Amorrhéen, et ta mère Céthéenne[1] ». Il y avait un peuple Amorrhéen, mais les Juifs n’en tiraient pasleur origine ; les Céthéens formaient aussi un corps de nation tout à fait étranger à la race juive. Mais comme les Amorrhéens et les Céthéens étaient des impies, et que les Juifs avaient imité leur impiété, ils étaient censés leur avoir donné naissance : non qu’ils leur eussent réellement donné la vie, mais parce que leurs mauvaises mœurs avaient été pour les Juifs un scandale et le sujet d’une condamnation pareille à celle qu’ils avaient eux-mêmes encourue. Vous cherchez peut-être à savoir d’où vient le démon ? Du même principe que les autres Anges ; mais ceux-ci ont persévéré dans leur obéissance ; tandis que par sa persévérance et son orgueil, celui-là a été précipité, et qu’il est devenu un démon.
11. Mais écoutez maintenant ce que dit le Sauveur : « Le père dont vous êtes nés, c’est le démon, et vous voulez accomplir les désirs de votre père ». Vous êtes ses enfants, non que vous soyez nés de lui, mais parce que ses désirs sont les vôtres. Quels sont ses désirs ? « Il a été homicide dès le commencement ». Voilà ce qu’il est. « Vous voulez accomplir les désirs de votre père. Vous cherchez à me faire mourir, moi, qui suis un homme qui vous dis la vérité ». Le démon a porté envie à l’homme, et il a fait mourir l’homme. Jaloux, de lui, il s’est caché sous la forme du serpent, il a parlé à la femme, et par la femme il a empoisonné l’homme. Pour avoir écouté le démon, ils sont morts tous les deux [2]. Il n’aurait point prêté l’oreille a ses discours, s’il avait voulu entendre la voix de Dieu ; placé entre son Créateur et cet ange déchu, il aurait dû obtempérer aux ordres de Celui qui l’avait créé, au lieu de céder aux conseils de son séducteur. « Il était donc homicide dès le commencement ». Voyez, mes frères, de quelle manière il a fait mourir l’homme. On a donné au démon le nom d’homicide ; et cependant il ne portait ni glaive à sa main, ni épée à sa ceinture ; il s’est approché de l’homme, il a jeté à son oreille une parole mauvaise, il l’a tué. Ne va pas croire que tu n’es pas homicide, quand tu donnes à ton frère un conseil pernicieux ; si tu le portes au mal, tu le tues. Veux-tu en avoir la preuve ? écoute le Psalmiste : « Enfants des hommes ; vos dents sont des lances et des dards ; votre langue est un glaive perçant[3]. Vous voulez » donc « accomplir les

  1. Ez. 16, 3
  2. Gen. 3, 1
  3. Ps. 106, 5