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Fils est, en effet, Dieu engendré du Père ; mais le Père n’est pas Dieu engendré du Fils. Fils est Dieu de Dieu : le Père est Dieu, mais il n’est pas Dieu de Dieu. Le Fils est lumière de lumière : le Père est aussi lumière, mais non de lumière. Le Fils est, tuais il y a quelqu’un de qui il est : le Père est, mais il n’y a personne de qui il soit.
4. Parce que le Christ a ajouté : « Je vous dis ces choses comme mon Père m’a enseigné », qu’aucun d’entre vous, mes frères, ne se laisse aller à des pensées charnelles ; car, par un effet de la faiblesse humaine, notre manière de penser se règle d’après ce que nous avons accoutumé de faire ou de noir. Ne vous figurez donc pas que vous avez sous les yeux deux hommes, dont l’un serait le Père, et l’autre le Fils. Ne t’imagine pas que le Père parle à son Fils, comme tu fais toi-même lorsque tu parles à ton enfant, pour l’instruire et lui apprendre à parler lui-même du qu’il retienne tes paroles, qu’après les avoir retenues, il les traduise en mots, les rendant bien distinctement, syllabe par syllabe, et les portant aux oreilles des autres telles que les siennes les ont reçues. N’ayez point de pareilles idées, car vous forgeriez des idoles dans votre cœur. Il ne faut point supposer que la Trinité ait l’apparence et les membres d’un homme, une figure de chair, tous ces sens visibles, la stature et les mouvements du corps, l’usage de la langue, une parole articulée : nous ne pouvons imaginer que la forme d’esclave, dont le Fils unique de Dieu s’est revêtu quand le Verbe s’est fait chair pour habiter parmi nous [1]. Ici, ô fragilité humaine, je ne t’empêche nullement d’avoir des pensées en rapport avec ce que tu connais : je t’y force, au contraire. Si ta foi est véritable, voilà ce que tu dois penser du Christ, en tant qu’il est né de la Vierge Marie, et non entant qu’engendré par Dieu le Père. On l’a vu enfant ; il a pris de l’accroissement, il a marché, il a eu faim et soif, et enfin, il a souffert, il a été attaché à la croix, il a été mis à mort, on l’a enseveli comme un autre homme, et c’est avec la forme d’un homme qu’il est ressuscité, qu’il est monté au ciel en présence de ses disciples, et qu’il viendra nous juger. La parole des anges, que cite l’Évangéliste, ne laisse aucun doute à cet égard. « Il viendra tel que vous l’avez vu monter au ciel [2] ». Quand tu cherches à te faire une idée de la forme d’esclave dont le Christ s’est revêtu, il faut, si tu as la foi, penser à une forme humaine ; mais si tu veux te faire une idée de ce qu’il est, quand s’appliquent à lui ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[3] » ; loin de ton esprit toute image de l’homme ! Loin de ton imagination tout objet qui se mesure à la manière d’un corps, tout ce qui peut tenir clans l’espace, ou faire partie d’une masse si démesurée qu’elle soit : que de pareilles imaginations ne trouvent jamais accès dans ton cœur. Figure-toi, si c’est possible, la beauté de la sagesse : fais-toi une idée de la beauté de la justice. Y a-t-il là une forme ? de la grandeur ? des couleurs ? Il n’y a rien de tout cela, et pourtant, la sagesse et la justice existent ; s’il en était autrement, on ne les aimerait pas, on n’en ferait nul éloge ; et si on ne les aimait pas et qu’on n’en fît pas l’éloge, elles resteraient étrangères à nos affections et à nos mœurs. Mais on voit des hommes devenir sages ; où en est la cause, sinon dans l’existence même de la sagesse ? O homme, tu ne peux voir ta sagesse avec les yeux de ton corps : tu es incapable de t’en faire une idée pareille à celle que tu te fais des objets matériels, et tu oses te représenter la sagesse de Dieu sous la forme d’un corps humain ?
5. Aussi, mes frères, comment expliquer ceci ? Le Fils a dit : « Je vous dis ces choses comme mon Père m’a enseigné ». De quelle manière le Père lui a-t-il parlé ? Lui a-t-il seulement parlé ? Pour instruire son Fils, le Père a-t-il prononcé, des paroles, comme tu en prononces toi-même, lorsque tu donnes des leçons à ton enfant ? Quelles paroles peut-il adresser à sa Parole ? Les paroles qu’il adresserait à sa Parole unique seraient-elles en grand nombre ? La Parole du Père a-t-elle eu des oreilles pour les approcher de la bouche du Père ? Autant d’idées charnelles, qu’il faut éloigner de ton esprit. Je vous adresse ce discours, et peut-être avez-vous compris mes paroles : évidemment, je vous ai parlé ; mes paroles ont retenti, et le bruit qu’elles ont fait est venu frapper vos oreilles pour aller, au moyen du sens de l’ouïe, porter mes pensées jusqu’à votre cœur, si vous les avez saisies. Supposez qu’un homme, sachant

  1. Jn. 1, 14
  2. Act. 1, 11
  3. Jn. 1, 1