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elle se place sur lui, comme sur un chariot, elle traverse les airs, parvient jusqu’à moi, sans néanmoins se séparer de toi. Pour le son, il ne peut venir à moi qu’à la condition de te quitter, et, toutefois, il n’établit pas en moi sa demeure. La parole, qui était dans ton âme, a-t-elle disparu en même temps que le son s’évanouissait à mes oreilles ? Ce que tu pensais, tu l’as dit ; tu as employé le secours des syllabes, afin de me faire parvenir tes pensées secrètes : elles sont arrivées à mes oreilles, portées sur les ailes des mots, puis elles sont, de là, descendues dans mon cœur ; le bruit, qui leur a servi de moyen de locomotion, fait place au silence ; mais la parole elle-même, cette parole qui m’est parvenue par l’intermédiaire des sons, se trouvait en toi, avant de se traduire au-dehors par le bruit des mots ; et, parce que tu as parlé, elle a pénétré dans mon cœur sans quitter le tien. Qui que tu sois, si tu veux scruter le sens des paroles que tu entends, fais attention à ce que je dis. Tu ne sais ce qu’est la parole de l’homme, et tu méprises la parole de Dieu !
5. Celui par qui toutes choses ont été faites, connaît tout, pourtant il adresse sous forme dubitative ce reproche à ses adversaires « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père ». Il leur reproche leur incrédulité. Il a fait ailleurs la même réflexion à ses disciples ; mais en cette circonstance, il n’a pas employé l’expression du doute, parce qu’il n’avait point à leur reprocher un manque de foi. Ce qu’il dit ici aux Juifs : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père », il l’a pareillement dit à ses Apôtres au moment où Philippe lui adressait cette question, ou plutôt cette demande : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Par ces paroles, Philippe semblait lui dire : Nous vous connaissons déjà : vous nous êtes apparu, et nous vous avons vu ; vous nous avez choisi, et nous avons marché à votre suite ; nous avons été les témoins de vos miracles ; nous avons entendu les paroles de vie sortir de votre bouche, et accepté vos ordres ; nous espérons en vos promesses ; par votre société, vous nous avez comblés d’une infinité de bienfaits ; nous vous connaissons donc, mais nous ne connaissons pas votre Père ; aussi notre cœur est-il embrasé du désir de voir ce Père que nous ne connaissons pas. Nous vous connaissons, mais cela ne nous suffit pas ; nous voulons connaître aussi votre Père ; montrez-nous-le, et cela nous suffit. Pour leur faire comprendre qu’ils ignoraient encore ce qu’ils croyaient déjà savoir, le Sauveur leur adressa ces paroles : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père [1] ». Y a-t-il apparence de doute dans ces paroles ? Le Sauveur a-t-il dit : Celui qui m’a vu a peut-être aussi vu mon Père ? Pourquoi ? Philippe n’était pas un incrédule ; il n’allait pas à l’encontre de la foi ; c’est pourquoi, au lieu de le réprimander, Jésus l’instruisait. « Celui qui m’a vu, a vu aussi le Père ». Voilà ce qu’il disait à son disciple, tandis qu’il adressait aux Juifs ces autres paroles : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-être aussi mon Père ». Ôtons, de ces paroles, celle qui indique, dans les auditeurs, le manque de foi, et nous trouverons, ici et là, l’expression de la même pensée.
6. Hier, nous avons déjà fait remarquer à votre charité, et nous vous avons dit qu’à moins d’y être obligés par la mauvaise foi des hérétiques, nous devons discuter, le moins, possible, les instructions que l’Évangéliste Jean nous donne comme les ayant reçues lui-même de la bouche du Sauveur. Aussi, nous avons vous fait connaître en deux mois, hier, qu’il y a des hérétiques appelés Patripassiens, ou encore, Sabelliens, du nom de leur chef. À les entendre, le Père n’est autre que le Fils : les noms sont différents, mais il n’y a en Dieu qu’une seule personne ; il est un, mais à son gré, il s’appelle, tantôt le Père, tantôt le Fils. Il est encore d’autres hérétiques ; ce sont les Ariens. Ils reconnaissent en Notre-Seigneur Jésus-Christ le Fils unique du Père ; ils avouent que la personne du Père est distincte de celle du Fils ; que le Père n’est pas le Fils, et que le Fils n’est pas le Père ; ils confessent la génération de l’un par l’autre, mais ils refusent de les reconnaître égaux. Pour nous, qui représentons la foi catholique, cette foi venue jusqu’à nous par l’enseignement des Apôtres, établie parmi nous, à nous transmise par une succession non interrompue de pasteurs, destinée à passer, aux siècles à venir dans toute son intégrité ; pour nous, nous tenons le milieu entre les deux, c’est-à-

  1. Jn. 95, 8, 9