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grand crime, en présence de celui qui était sans péché. Elle lui avait entendu dire : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Aussi s’attendait-elle à une punition de la part de celui en qui l’on n’avait jamais découvert aucun péché. Pour lui, après avoir écarté ses ennemis par le langage de la justice, il leva vers elle des regards pleins de douceur et lui adressa cette question : « Personne ne t’a condamnée ? – Personne, Seigneur », répondit-elle. – Et il ajouta : « Je ne te condamnerai pas non plus ». Parce que tu n’as pas trouvé de péché en moi, tu as craint sans doute de me voir prononcer ta condamnation : eh bien, « je ne te condamnerai pas non plus ». Eh quoi, Seigneur, approuveriez-vous le péché ? Non certes, il ne l’approuve pas ; car, écoute ce qui suit : « Va, et ne pèche plus à l’avenir ». Le Sauveur a donc prononcé une condamnation ; mais ce qu’il a condamné, c’est le péché, et non le pécheur. S’il avait donné son approbation au crime, il aurait dit : Je ne te condamnerai pas non plus ; va, conduis-toi comme tu voudras, et sois sûre de mon indulgence ; tant que tu pèches, je te préserverai de toute punition, même du feu et des supplices de l’enfer. Mais le Sauveur ne s’est pas exprimé ainsi.
7. Ceux qui aiment le Seigneur doivent se souvenir de sa mansuétude, sans oublier de craindre son immuable vérité ; car « le Seigneur est plein de douceur et d’équité [1] ». Tu aimes en lui la bonté ; redoute aussi sa droiture. La douceur lui a fait dire : « Je me suis tu » ; mais sa justice lui a fait ajouter : « Toutefois, garderai-je toujours le silence[2] ? Le Seigneur est miséricordieux et compatissant ». Évidemment, oui. Ajoute qu’il est « patient » : ne crains pas de dire qu’il est « prodigue de miséricorde », mais que cette dernière parole du Psalmiste t’inspire une crainte profonde : « Il est plein de vérité [3] ». Aujourd’hui, il supporte ceux qui l’offensent ; plus tard, il jugera ceux qui l’auront méprisé. « Est-ce que tu méprises les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longue tolérance ? Ignores-tu que la bonté de Dieu t’invite à la pénitence ? » Et pourtant, par ta dureté et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres [4] ». Le Seigneur est rempli de douceur, de longanimité et de miséricorde ; mais aussi il est plein de justice et de vérité. Il t’accorde le temps de te corriger ; pour toi, tu préfères ce répit à ton amendement. Hier, tu as été méchant ? Sois bon aujourd’hui. Tu as consacré au mal la journée présente ? Puisses-tu, du moins, te convertir demain. Tu attends sans cesse sans cesse tu te promets des merveilles de la bonté divine, comme si celui qui a promis le pardon à ton repentir s’était engagé à prolonger encore ton existence. Sais-tu ce que te réserve la journée de demain ? Tu parles avec justesse, en disant dans le fond de ton cœur : Quand je me corrigerai, Dieu me pardonnera tous mes péchés. Nous ne pouvons, en effet, le nier : il a promis le pardon aux pécheurs corrigés et convertis ; mais le Prophète, dont les paroles te servent à me prouver que Dieu nous a promis son pardon pour le cas où nous viendrions à nous convertir, ce Prophète ne t’annonce, nulle part, qu’il doive t’accorder une longue vie.
8. La présomption et le désespoir, voilà deux sentiments bien opposés l’un à l’autre, deux mouvements de l’âme tout contraires ; ils mettent, néanmoins, également en danger le salut des hommes. Qui est-ce qui devient la victime d’une folle confiance ? Celui qui dit : Dieu est bon et miséricordieux ; libre à moi de faire ce qu’il me plaît, d’agir à ma guise : je lâche donc la bride à mes passions ; je veux satisfaire tous les désirs de mon âme. Pourquoi cela ? Parce que Dieu est riche en miséricorde, en bonté, en douceur. On peut donc périr, même en espérant. De même en est-il du désespoir : en effet, lorsqu’un homme est tombé en de grandes fautes, et qu’il se désespère, il s’imagine que, malgré son repentir, il ne pourra jamais en obtenir le pardon ; il se regarde comme fatalement réservé à la damnation ; il raisonne à la manière des gladiateurs destinés à périr dans l’arène, et il se dit à lui-mêmes Me voilà dès maintenant damné ! Pourquoi ne pas faire ce que je désire ? Les hommes livrés au désespoir sont redoutables, car ils ne craignent plus rien, et leur société est singulièrement dangereuse. Le désespoir tue donc les uns, comme la présomption tue les autres : l’esprit

  1. Ps. 24, 8
  2. Isa. 42, 14 suiv. les Septante
  3. Ps. 85, 15
  4. Rom. 2, 4-6