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la sagesse. Pouvaient-ils jamais lui tendre des pièges sans y tomber les premiers, tête baissée ? Aussi, dans sa réponse, verrons-nous le Sauveur conserver toute sa justice et ne rien perdre de sa mansuétude. Au lieu de le prendre au piège qu’ils lui tendaient, les Juifs y furent pris les premiers, parce qu’ils ne croyaient pas en Celui qui pouvait les préserver de toute embûche.
5. Que leur répondit donc le Sauveur ? Que leur répondit la vérité, la sagesse, et cette justice elle-même qu’ils se préparaient à attaquer injustement ? Il ne leur dit point : Ne la lapidez pas, pour n’avoir pas l’air de parler contre la loi. Il se garda bien aussi de leur dire : Elle doit être lapidée, car il n’était point venu pour perdre ce qu’il avait trouvé, mais pour chercher ce qui était perdu [1]. Quelle réponse leur fit-il donc ? Voyez combien elle fut admirable de justice, de mansuétude et de vérité ! « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ! » Quelle sagesse dans ces quelques mots ! Comme il les remettait bien à leur place ! au-dehors, ils portaient contre une femme une accusation passionnée ; et ils ne rentraient pas au dedans d’eux-mêmes pour y scruter l’état de leur âme ; ils jetaient les yeux sur une adultère, et ne portaient point leurs regards sur leur propre conscience. Prévaricateurs de la loi, ils prétendaient la faire accomplir, même en se servant de la fourberie ; et, de fait, c’était de leur part de la fourberie, car en condamnant la femme adultère, ils faisaient semblant d’obéir à un sentiment de pudeur, et ils n’étaient eux-mêmes que des libertins. Juifs, vous avez entendu ; vous aussi, Pharisiens ; docteurs de la loi, vous avez entendu le gardien de la loi, mais vous n’avez pas encore compris votre Législateur. A-t-il voulu vous faire entendre autre chose, en écrivant avec son doigt sur la terre ? La loi a été effectivement écrite par le doigt de Dieu ; mais elle a été écrite sur la pierre à cause de la dureté du peuple d’Israël [2]. Mais, pour le moment, le Seigneur écrivait sur la terre, parce qu’il cherchait à recueillir du fruit. Il vous a dit : Que la loi soit accomplie ; qu’on lapide la femme adultère ; mais, pour accomplir la loi des hommes qui méritent d’être eux-mêmes punis, ont-ils le droit de punir cette malheureuse ? Que chacun d’entre vous se considère lui-même, qu’il rentre au dedans de lui ; qu’il s’assoie sur le tribunal de sa conscience ; qu’il comparaisse en présence de ce juge intérieur ; qu’il s’oblige à faire l’aveu de ses propres torts ; car il sait qui il est, et personne, parmi les hommes, ne sait ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui [3]. On se trouve dans l’état de péché dès qu’on se considère soi-même : tous en sont là, et il n’y a pas le moindre doute à élever à ce sujet. Par conséquent, de deux choses l’une : ou renvoyez cette femme, ou subissez la peine que la loi édicte aussi contre vous. Si le Sauveur disait : Ne lapidez pas cette adultère, il serait par là même convaincu d’injustice. S’il disait : Lapidez-la, il mentirait à sa douceur habituelle ; qu’il dise donc ce qu’il doit dire pour rester doux et juste : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Voilà bien la sentence de la vraie justice. Une pécheresse doit être punie, mais pas de la main de gens qui ont la conscience souillée ; la loi doit être accomplie, mais non par ceux qui la foulent eux-mêmes aux pieds. Oui, c’était la justice même qui s’exprimait par la bouche de Jésus ; aussi, frappés par ces paroles comme par un trait énorme, ils se regardèrent mutuellement, et se reconnaissant coupables, « ils se retirèrent tous l’un après l’autre », et il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse. Après avoir ainsi blessé ses ennemis du dard de la justice, le Seigneur ne daigna pas même faire attention à leur chute, mais, détournant d’eux ses regards, et « se baissant de nouveau, il écrivait sur la terre ».
6. Les Juifs s’étaient donc tous éloignés et l’avaient laissé seul avec la femme adultère : Jésus leva alors les yeux vers elle. Nous l’avons entendu tout à l’heure parler le langage de la justice ; nous allons maintenant l’entendre parler celui de la bonté. À mon avis, la coupable avait ressenti une terreur moins vive à entendre ses accusateurs qu’à écouter ces paroles du Sauveur : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Dès que ceux-ci eurent reporté sur eux-mêmes leur attention, ils se reconnurent fautifs et en donnèrent la preuve en s’éloignant : ils laissèrent donc cette femme, souillée d’un

  1. Lc. 19, 10,
  2. Ex. 31, 18
  3. 1 Cor. 2, 11