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voyez pareil à un autre homme, c’est « qu’il m’a envoyé ». Mais de ce que le Sauveur dit : « Il m’a envoyé », garde-toi de conclure que le Père est d’une nature différente de celle du Fils ; par ces paroles, il ne fait allusion qu’à l’autorité de Celui qui l’a engendré.
5. « Ils cherchaient donc à le saisir, mais nul n’étendit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue » ; c’est-à-dire, parce qu’il ne le voulait pas. Quel est, en effet, le sens de ce passage : « Son heure m’était pas encore venue ? » Le Sauveur n’était point né sous l’empire de la fatalité : tu ne dois pas le croire de toi-même ; à plus forte raison, de ton Créateur. Si ton heure n’est que sa volonté, son heure à lui peut-elle être autre chose que sa propre volonté ? En parlant de son heure, il n’a donc point voulu désigner un moment où il serait forcé de mourir, mais il a indiqué celui où il permettrait à ses ennemis de lui ôter la vie. Il attendait le moment de se livrer à la mort, parce qu’il avait attendu le jour où il viendrait à la vie. Ce moment, l’Apôtre en parle quand il dit : « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils [1] ». Voilà pourquoi beaucoup disent : Pourquoi le Christ n’est-il pas venu plus tôt ? Il faut leur répondre : Parce que Celui qui dispose de tous les moments n’avait pas encore jugé que tous les temps étaient accomplis. De fait, il savait quand il devait venir. D’abord, sa venue dû être annoncée pendant une longue suite de siècles et d’années, car c’était un événement d’une suprême importance ; il avait dû être prédit longtemps d’avance, parce qu’il devait toujours être un bienfait pour le monde. Il devait venir en ce monde comme le juge de l’univers ; son avènement devait donc être annoncé par une suite de hérauts proportionnée à ses sublimes fonctions. Enfin, lorsque les temps ont été accomplis, il est tenu lui-même pour nous délivrer des vicissitudes des temps. Sortis du temps comme d’un état d’esclavage, nous arriverons à l’éternité, où le temps n’a plus de place, et où l’on se dit plus : Quand viendra notre heure, parce que ce jour dure sans cesse ; il n’est ni précédé d’une veille, ni terminé par un lendemain. Dans le cours de cette vie, les jours s’écoulent les uns après les autres ; ceux-ci viennent, ceux-là s’en vont ; aucun d’eux n’a de durée permanente ; le moment où nous parlons fait place à un autre, et, pour proférer une syllabe, il faut que nous en ayons fini avec la précédente. Nous vieillissons à mesure que les mots s’échappent de notre bouche, et il est sûr que j’ai vieilli depuis ce matin. Ainsi, dans le temps, rien de stable, rien de fixe. C’est donc pour nous un devoir d’aimer Celui qui a créé tous les temps, afin qu’il nous délivre des vicissitudes du temps, et nous fixe dans l’éternité, où l’on n’éprouve aucune de ces vicissitudes. Quelle infinie miséricorde de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d’être né dans le temps à cause de nous, après avoir créé le temps ; d’être apparu au milieu de tous les êtres, après les avoir fait sortir du néant ; d’être devenu une de ses créatures ! Il est effectivement devenu tel, car lui, qui avait fait l’homme, s’est fait homme afin de sauver les hommes, Dans ce but, il était venu ici-bas, il était né à l’heure désignée pour son entrée en ce monde ; mais l’heure de sa passion n’avait pas encore sonné ; aussi ne devait-il pas encore souffrir.
6. Remarquez bien, je vous prie, que la mort du Sauveur a été non pas un effet de la nécessité, mais le résultat de sa volonté. En entendant ces paroles : « Son heure n’est pas encore venue », il en est quelques-uns parmi vous, et c’est à eux que je m’adresse en ce moment, pour s’autoriser à croire à la fatalité ; ainsi, leurs cœurs s’abandonnent à l’extravagance. Remarquez bien, dis-je, que la mort du Sauveur a été le résultat de sa volonté ; pour cela, reportez-vous à la considération de sa passion, mettez-vous en face de la croix. Attaché à l’instrument de son supplice, Jésus s’écria : « J’ai soif ». Les soldats l’ayant entendu, s’approchèrent de sa croix et lui présentèrent une éponge pleine de vinaigre, qu’ils avaient attachée à un roseau ; le Sauveur en prit, et dit : « Tout est consommé », et, ayant incliné la tête, il rendit l’esprit. Vous voyez, par cette circonstance, que, s’il mourait, il en avait la volonté ; car il attendait l’accomplissement de ce qui devait, selon les prophéties, avoir lieu avant sa mort ; le Prophète avait dit en effet : « Ils m’ont donné du fiel pour ma nourriture ; ils m’ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif [2] ». Il attendait que toutes ces choses

  1. Gal. 4, 4
  2. Ps. 68, 22