Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée

sont ces montagnes environnantes, quand l’Écriture a parlé des montagnes dans un sens favorable, il arrive bien rarement, et peut-être n’arrive-t-il jamais qu’elle ne parle aussitôt du Seigneur, ou qu’elle ne reporte notre attention jusqu’à lui, de peur que notre espérance ne s’arrête à ces montagnes. Voyez dans les passages que j’ai cités : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où mue viendra u mon secours ». De peur que tu n’en restes là. « Mon secours », dit-il, « est dans le Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ». Ensuite : « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple ». Dire qu’elles reçoivent, c’est montrer assez que la source d’où elles la recevront est ailleurs. « Et puis des montagnes descend la lumière ». Mais c’est vous, dit le Prophète, « vous qui des montagnes éternelles faites descendre une lumière admirable ». Quand il dit ailleurs : « Les montagnes l’environnent », de peur que ta pensée ne s’arrête aux montagnes, il ajoute aussitôt : « Et le Seigneur est autour de son peuple », afin que ton espérance, loin de s’arrêter aux montagnes, soit dans celui qui les éclaire. Car en habitant dans les montagnes ou dans les saints, il est autour de son peuple ; il a fait à ce peuple une muraille spirituelle, afin qu’il ne soit point ébranlé de l’éternité. Mais quand il est question de montagnes dans un sens défavorable, l’Écriture n’ajoute pas le Seigneur. Ainsi ces montagnes, avons-nous dit, désignent les grandes âmes, il est vrai, mais tournées au mal. Ne vous imaginez pas en effet, mes frères, qu’un esprit médiocre ait pu susciter des hérésies. Il faut de grands hommes pour faire des hérésiarques, des montagnes d’autant plus nuisibles, qu’elles sont plus élevées. Ces montagnes n’étaient point au nombre de celles qui reçoivent la paix, afin que les collines reçoivent la justice ; mais elles ont reçu du démon, qui est leur père, l’esprit de division. C’étaient donc des montagnes, mais garde-toi de chercher un refuge auprès d’elles. Des hommes viendront et te diront : C’est un grand homme, c’est là un illustre personnage. Quel homme que Donat ! quel homme que Maximien ! Quel homme encore que ce Photin ! et Arius n’était-il pas un grand homme ? Ce sont là des montagnes, ai-je dit, mais des montagnes à naufrages. Tu vois dans leurs discours quelques jets de lumière, ils peuvent communiquer une certaine flamme. Mais si tu navigues sur une barque, et que tu sois surpris par la nuit ou par les ténèbres de cette vie, ne te laisse point prendre à ces lueurs, et n’y dirige point ton esquif, il y a là des rochers féconds en naufrages. Donc, lorsqu’on te parlera de la hauteur de ces montagnes, et qu’on t’invitera à venir à ces montagnes chercher du secours et le repos, tu répondras : « Ma confiance est dans le Seigneur ; comment dites-vous, ô mon âme : Retire-toi comme un oiseau sur les montagnes[1] ? » Il est bon pour toi, je l’avoue, de lever les yeux vers ces montagnes d’où peut te venir le secours de la part du Seigneur, afin d’échapper comme le passereau au lac des chasseurs, mais non afin de t’en aller vers les montagnes. Le passereau est léger, toujours dans l’agitation, volant deçà et delà. Mais toi, mets ta confiance dans le Seigneur, et tu seras comme la montagne de Sion, tu ne seras pas ébranlé éternellement, tu ne prendras point ton vol comme l’oiseau vers la montagne. Lorsque le Prophète parle de ces montagnes, parle-t-il aussi de Dieu ?
6. Mais tu dois aimer les montagnes en qui est le Seigneur ; et ces montagnes elles-mêmes t’aimeront, si tu ne mets point en elles ton espérance. Voyez, mes frères, quelles sont les montagnes de Dieu. Car c’est ainsi qu’on les nomme dans un autre endroit des psaumes « Votre justice est comme les montagnes de Dieu[2] ». Non point leur justice, mais votre justice. Écoute saint Paul, l’une de ces montagnes : « Afin », dit-il, « que je sois trouvé en lui, non pas avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ[3] ». Quant à ceux qui ont voulu être des montagnes par leur propre justice, comme certains Juifs, et principalement comme les Pharisiens, voici le reproche qu’on leur fait : « Ignorant la justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils n’ont pas été soumis à la justice de Dieu[4] ». Ceux qui ont bien voulu s’y assujettir, ont été grands, de manière néanmoins à demeurer humbles. Et comme ils sont grands, ils sont des montagnes, et leur soumission à la volonté de Dieu en fait des vallées. Comme ils ont un réservoir de piété, ils reçoivent l’abondance de la paix, dont ils inondent les collines. Pour toi,

  1. Ps. 10,2
  2. Id. 35,7
  3. Phil. 3,9
  4. Rom. 10,3