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nullement que ce nombre ait perdu de sa valeur ; car un autre a pris la place de celui qui a péri [1]. Le nombre consacré, c’est-à-dire le nombre de douze, est demeuré intact, parce que les douze devaient annoncer un Dieu en trois personnes par tout le monde, c’est-à-dire aux quatre coins du monde ; ils sont donc au nombre de trois fois quatre. Judas s’est tué lui-même, mais il n’a porté aucune atteinte au nombre de douze ; il a abandonné son maître, mais Dieu lui a donné un successeur.
11. Le Sauveur nous a parlé de son corps et de son sang ; il nous a promis qu’en lei recevant, nous recevrions aussi la vie éternelle ; il a voulu nous faire comprendre que ceux qui mangent son corps et boivent sou sang, sont ceux-là mêmes qui demeurent eu lui et lui servent de demeure : ceux qui ne crurent point à ses paroles n’en saisirent pas le sens, à des choses spirituelles ils donnèrent un sens charnel ; aussi s’en scandalisèrent-ils ; et quand ils se furent scandalisés et éloignés de la source de la vie, le Sauveur consola ceux de ses disciples qui étaient restés avec lui. Pour les éprouver, il leur adressa cette question : « Et vous aussi, voulez-vous vous en aller ? » Par la réponse qu’il provoquait, il voulait nous faire connaître leur constante fidélité à sa personne. Comme résultat de ces différentes circonstances, puissions-nous, nos très-chers frères, ne pas nous contenter, à l’exemple d’un grand nombre de mauvais chrétiens, de recevoir le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ ! Mangeons son corps et buvons son sang de manière à participer à son esprit : par là, nous demeurerons dans le corps du Seigneur en qualité de membres ; son esprit nous animera, et nous ne nous scandaliserons point ; quoique beaucoup d’autres mangent et boivent maintenant avec nous, et dans un sentiment tout charnel, le corps et le sang du Sauveur, se condamnant ainsi, pour la fin de leur vie, à d’éternels supplices. Aujourd’hui les membres du Christ se trouvent mêlés les uns aux autres comme des grains de froment dans une aire. Mais Dieu connaît ceux qui lui appartiennent[2]. Si tu connais ce que tu foules aux pieds, si par conséquent, tu sais que, sous tes pieds se trouvent des grains cachés, et qu’en les foulant tu ne les détruis pas, mais que plus tard le vent séparera les mauvais d’avec les bons ; c’est un fait pour nous hors de doute, mes frères, que nous devons tous, nous qui sommes les membres du Christ, et qui demeurons en lui afin de lui servir de demeure, à notre tour, nous devons tous, ici-bas, vivre jusqu’à la fin au milieu des méchants. Et, par ces méchants, je n’entends pas ceux qui blasphèment Jésus-Christ ; car il en est peu, de notre temps, pour l’injurier de bouche : je veux parler de ceux, hélas ! trop nombreux, dont la conduite est un blasphème continue.
12. Mais qu’est-ce que le Sauveur dit par ces paroles : « Celui qui demeure en moi, je demeure moi-même en lui[3] ? » Que dit-il, sinon ce qu’entendaient les martyrs : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé[4] ? » Comment est resté en lui saint Laurent, dont nous célébrons aujourd’hui la fête ? Il y est resté jusqu’au moment de l’épreuve, de l’interrogatoire du tyran, des menaces les plus effrayantes, jusqu’à la mort. Que dis-je ? Jusqu’au plus douloureux martyre. Car on ne l’a pas fait mourir tout de suite : on lui a fait subir le supplice du feu, on l’a laissé vivre longtemps ; ou plutôt, on ne l’a pas laissé vivre longtemps, mais on l’a forcé à mourir lentement. Dans cette longue agonie, au milieu de ces tourments, il ne ressentit point la douleur, parce qu’ayant mangé le corps et bu le sang du Christ avec des dispositions parfaites, il était comme engraissé de cet aliment et enivré de ce breuvage ; car en lui se trouvait celui qui a dit : « C’est l’esprit qui vivifie ». Son corps subissait les ardeurs du feu, mais l’esprit soutenait son âme : il ne défaillit point, aussi entra-t-il dans le royaume éternel. Le saint martyr Xiste, dont nous avons solennisé la mémoire il y a cinq jours, lui avait dit : « Mon fils, ne t’attrista pas ». (Xiste était l’évêque, et Laurent son diacre.) « Mon fils, ne t’attriste pas : tu me suivras après un triduum ». Il donnait le nom de triduum à l’intervalle qui devait se trouver entre son martyre et celui de saint Laurent, que nous célébrons aujourd’hui. Trois jours, voilà l’intervalle. O consolation ! Il ne dit pas Ne t’attriste pas, mon fils ; la persécution aura un terme, et tu seras en sécurité ; mais ne t’attriste pas : où fait allusion qu’au bienfait de sa médiation.


20. « C’est ici le pain qui est descendu du ciel » ; afin qu’en le mangeant, nous trouvions la vie en lui, parce que nous ne pouvons trouver en nous-mêmes le principe de la vie éternelle. « Vos pères », dit-il, « ont mangé la manne et sont morts ; mais celui qui mange ce pain vivra éternellement ». Leurs pères sont morts, cela veut

  1. Act. 1, 26
  2. 2 Tim. 2, 19
  3. Jn. 6, 57 ; 15, 5
  4. Mt. 24, 13