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 Vous avez les paroles de la vie éternelle ». Vous avez les paroles de la vie éternelle, puisque vous nous donnez votre corps et votre sang. « Et nous avons cru, et nous avons « connu ». Il ne dit pas : Nous avons connu et nous avons cru, mais : « Nous avons cru et nous avons connu ». Nous avons cru, afin de connaître ; car si nous voulions connaître d’abord, pour croire ensuite, nous ne parviendrions ni à connaître, ni à croire. Qu’avons-nous cru, et qu’avons-nous connu ? « Que vous êtes le Christ, Fils de Dieu », c’est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que vous ne donnez dans votre corps et votre sang que ce que vous êtes.
10. Le Seigneur Jésus leur dit donc : « Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze, et l’un de vous est un démon ? » Ne devrait-il pas dire : « J’en ai choisi onze ? » Car le démon a-t-il été aussi choisi, et se trouve-t-il au nombre des élus ? On ne parle d’élus qu’en bonne part ; or, le Sauveur a-t-il pu choisir un homme pour lui faire opérer des merveilles en fait de bonnes œuvres, malgré lui et sans qu’il le sache ? Oui, car si les méchants agissent différemment, c’est le propre de Dieu d’agir ainsi. De même, en effet, que les méchants font mauvais usage des bienfaits de pieu, de même aussi, mais par contre, Dieu emploie-t-il pour le bien les mauvaises actons des méchants. Combien il est avantageux pour nous que les membres de notre corps soient tels que le divin architecte a pu seul les créer ; et pourtant, quel triste usage les effrontés font-ils de leurs yeux ? et les fourbes, de leur langue ? Avec leur langue, les faux témoins commencent par tuer leur âme, et quand ils se sont donné la mort spirituelle, ils s’efforcent de blesser les autres. De ce qu’ils l’emploient à mal faire, il ne s’ensuit nullement que la langue soit une mauvaise chose : c’est l’œuvre de Dieu ; mais cette œuvre, toute bonne qu’elle soit, la méchanceté humaine en tire un mauvais parti. Quel usage font de leurs pieds ceux qui cousent pour commettre le crime ? Et les homicides, à quoi emploient-ils leurs mains ? Et les êtres excellents, sortis des mains de Dieu, qui nous environnent de toutes parts, comme les mauvais chrétiens les détournent de leur destination première ! Avec l’or, on corrompt la justice, on opprime les innocents. Les méchants emploient au mal la lumière du jour. En effet, dans leurs écarts de mœurs, ils vont jusqu’à se servir de cette lumière qui éclaire leurs pas, comme d’un moyen de perpétrer plus sûrement leurs crimes. Dans les démarches qu’il fait pour accomplir ses pernicieux desseins, le pécheur emploie les rayons du soleil à ne se butter à aucun obstacle extérieur, quoiqu’intérieurement il se soit déjà frappé à une pierre d’achoppement et soit tombé ; l’inconvénient qu’il redoute pour son corps, il l’a déjà rencontré dans son cœur. Il serait trop long d’énumérer tous les bienfaits de Dieu ; mais il n’y en a pas un seul dont les méchants ne fassent abus ; et par une raison toute contraire, l’homme de bien fait tourner au bien la méchanceté même des méchants. Et, de fait, y a-t-il un seul être aussi bon que Dieu ? Le Seigneur lui-même ne dit-il pas, en effet : « Dieu seul est bon [1] ? » Aussi, meilleur il est, meilleur est l’emploi qu’il fait de nos mauvaises dispositions. Vit-on jamais homme aussi pervers que Judas ? Préférablement à tous les adhérents du divin Maître, choisi même parmi les douze Apôtres, il reçut la mission de garder la bourse commune et de distribuer les aumônes aux pauvres ; mais un tel bienfait, un si grand honneur ne trouva en lui qu’un ingrat ; on lui donna de l’argent, et il perdit la justice ; il était mort, et il livra la vie, et il poursuivit comme un ennemi celui qu’il avait suivi en qualité de disciple. Telle fut l’abominable conduite de Judas voyez le bel usage qu’en fit le Seigneur ! Il se laissa trahir pour nous racheter, et ainsi fit-il contribuer à notre bien le crime de Judas. Combien de martyrs ont été persécutés par Satan ; s’il avait cessé de se montrer persécuteur, nous ne célébrerions point aujourd’hui l’admirable victoire de saint Laurent. Dieu tire donc avantage des œuvres coupables du démon ; quand un méchant fait un mauvais emploi des bienfaits de Dieu, il se fait du mal à lui-même, mais il n’infirme en rien la bonté divine. Un ouvrier se sert d’un méchant ; mais si le grand ouvrier ne s’en servait pas, il ne lui permettrait pas même d’exister. Aussi le Sauveur dit-il : « Je vous ai choisis au nombre de douze, et l’un d’entre vous est un démon ». Il a pu dire encore : « Je vous ai choisis au nombre de douze », par cette raison que le nombre douze est sacré ; et parce que l’un des douze a péri, il ne s’ensuit

  1. Mc. 10, 18