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de piété ! ô signe d’unité ! ô lien de charité ! Celui qui veut vivre, sait où il jouira de la vie, où il la puisera. Qu’il s’approche et qu’il croie, qu’il s’incorpore au Christ, il y trouvera la vie ; qu’il ne lui répugne aucunement de s’unir à d’autres membres ; qu’il ne soit lui-même ni un membre pourri, que l’on doive retrancher du reste du corps, ni un membre difforme dont on puisse rougir : qu’il boit beau, bien proportionné, parfaitement sain ; qu’il ne fasse qu’un avec le corps du Christ ; que, puisant sa vie en Dieu, il vive pour Dieu ; qu’il travaille sur la terre, pour régner un jour dans le ciel.
14. « Les Juifs disputaient donc entre eux et disaient : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Ils disputaient entre eux, sans aucun doute, parce qu’ils ne comprenaient point que c’était un pain de paix et de concorde, et ne voulaient pas davantage s’en nourrir. Car ceux qui mangent ce pain ne se disputent pas entre eux ; la raison en est que « nous sommes tous un même pain et un même corps ». Et, par ce pain, « Dieu unit les hommes et les fait habiter dans une même maison [1] ».
15. Ils disputent entre eux et se demandent comment le Seigneur peut donner sa chair à manger ; néanmoins, le Christ ne le leur apprend point encore ; pour le moment, il se contente de leur dire : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Vous ignorez pourquoi on mange ce pain et comment on le mange : et, pourtant, « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous ». Certes, il ne s’adressait pas à des cadavres, mais à des hommes vivants. Aussi, pour ne point leur laisser supposer qu’il parlait de cette vie terrestre, et les empêcher d’élever une contestation à ce sujet, il ajouta : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle » ; d’où il suit que celui qui ne mange pas ce pain et ne boit pas ce sang, ne l’a pas ; car, si les hommes peuvent, sans eux, avoir la vie du temps, ils ne peuvent aucunement, sans eux, posséder la vie éternelle. De là, quiconque ne mange point sa chair et ne boit pas son sang, n’a point la vieen soi ; et quiconque mange sa chair et boit son sang, possède la vie. Pour l’un et l’autre de ces deux hommes, le Sauveur parle de la vie éternelle. Il n’en est pas de même de la no4urriture matérielle que nous prenons pour entretenir en nous la vie du corps. Celui qui n’en prend pas ne peut vivre, et celui qui en prend ne peut se promettre de vivre toujours ; car il peut arriver que beaucoup de ceux qui en prennent, meurent accablés par la vieillesse ou la maladie, ou victimes d’un accident quelconque. Bien différents sont la nourriture et le breuvage dont il est ici question, c’est-à-dire le corps et le sang du Seigneur. En effet, si celui qui ne les prend point n’a pas non plus la vie, celui qui les prend possède certainement la vie, et la vie éternelle. Par cet aliment et ce breuvage, le Sauveur veut donc nous désigner l’unité de son corps, l’union de ses membres, qui n’est autre que la sainte Église, composée des prédestinés, des appelés, des justifiés, des saints glorifiés et de tous les fidèles. La prédestination a déjà eu lieu ; la vocation et la justification se sont déjà faites pour les uns, se font maintenant et se feront plus tard pour les autres quant à la glorification, elle n’existe pour nous aujourd’hui qu’en espérance : au ciel elle se réalisera. Le signe sensible de cette mystérieuse chose, c’est-à-dire le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ réunis ensemble, se trouve préparé sur la table du Seigneur ici tous les jours, ailleurs, à certains intervalles moins rapprochés ; c’est à cette table divine que les chrétiens le reçoivent et y puisent, les uns la vie, les autres la mort. Pour ce dont ce sacrement est le signe, quiconque en devient participant y rencontre non la mort, mais la vie.
16. Les Juifs pouvaient s’imaginer que la vie éternelle étant promise aux hommes qui prendraient cet aliment et ce breuvage, ceux-ci ne subiraient pas même la mort du corps. Le Sauveur daigna prévenir cette erreur. En effet, après ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle », il ajoute aussitôt celles-ci : « Et je le ressusciterai au dernier jour ». D’abord sou âme jouira de la vie éternelle, dans le séjour du repos où se réunissent les âmes des saints ; quant à son corps, il entrera aussi en possession de la vie éternelle, car il ressuscitera au dernier jour avec tous les morts.

  1. Ps. 67, 7