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puisqu’il nous le dit lui-même ? Il ne nous est pas permis d’en supposer un autre que celui qu’il nous indique. « Celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors » ; et comme si tu cherchais à en connaître la cause, il ajoute : « Parce que je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je crains bien que certaines âmes ne se soient vues rejetées de Dieu pour avoir été orgueilleuses : le doute à cet égard ne m’est pas même permis. De fait, il est écrit : « Le principe de tout péché, c’est l’orgueil », et « le principe de l’orgueil dans l’homme, c’est l’éloignement de Dieu ». Cela est écrit, cela est positif, cela est certain. Et à propos du mortel orgueilleux, au sujet de cet être qui n’est couvert que de lambeaux de chair, qui plie sous le poids d’un corps destiné à pourrir, et qui pourtant s’élève à ses propres yeux parce qu’il oublie de quelle nature est son vêtement de peau, l’Écriture s’exprime ainsi : « De quoi la terre et la cendre peuvent-elles s’enorgueillir ? De quoi sont-elles si fières ? » Qu’elles disent : « Pourquoi l’homme s’élève. Parce qu’il a, durant sa vie ; jeté toutes ses entrailles[1] ». Que veut dire ce mot : « il a jeté », sinon il a jeté ? C’est s’en aller au-dehors. Entrer en soi-même, veut dire : rechercher ce qui est à l’intérieur ; jeter ses entrailles, signifie : se jeter dehors. L’orgueilleux jette hors de lui ses entrailles, l’homme humble s’y attache ; si l’orgueil nous fait sortir de nous-mêmes, l’humilité nous y fait rentrer.
16. La source de toutes les maladies de l’âme, c’est l’orgueil, parce qu’il est la source de toutes les iniquités. Lorsqu’un médecin entreprend une cure, s’il ne s’enquiert que des effets produits par une cause quelconque, sans chercher à découvrir cette cause elle-même, il peut bien pour un temps remédier au mal, mais tôt ou tard la maladie reparaît, parce que la cause en est toujours subsistante. Je me sers d’un exemple pour mieux expliquer ma pensée. Les humeurs produisent, dans le corps où elles se trouvent, la gale ou des ulcères ; de là une fièvre violente, des douleurs insupportables : on s’empresse d’apporter des remèdes pour faire disparaître la gale et calmer les ardeurs occasionnées par la formation des ulcères ; on les applique, ils produisent leur effet ; on croirait guéri l’homme que l’on voyait jadis couvert de gale ou de plaies hideuses ; mais parce qu’il n’a pas été purgé, les abcès ne tardent pas à reparaître. Le médecin s’en aperçoit ; il débarrasse le malade de ses humeurs, et c’en est fini avec ses ulcères. D’où viennent les iniquités nombreuses ? De l’orgueil : détruis-le en toi, et tu n’y verras plus le péché. Afin de détruire la cause de toutes les maladies de notre âme, c’est-à-dire notre orgueil, le Fils de Dieu est descendu sur la terre et s’est fait humble. O homme, pourquoi t’enorgueillir ? C’est à cause de toi que Dieu s’est fait humble. Il te répugnerait sans doute de suivre un homme dans la voie de l’humilité, imite du moins l’humilité d’un Dieu. Le Fils de Dieu s’est incarné, il s’est fait humble : il te commande d’être humble, mais pour accomplir ses ordres, il n’est pas nécessaire pour toi de cesser d’être un homme et de t’abaisser au niveau de la brute. Tout Dieu qu’il était, le Verbe s’est fait homme ; pour toi, ô homme, reconnais que tu es un homme : toute ton humilité consiste à savoir qui tu es. Parce qu’il te recommande l’humilité, le Sauveur a dit : « Je suis venu pour dire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Voilà bien une vraie leçon d’humilité. En effet, l’orgueilleux fait sa propre volonté : L’homme humble fait celle de Dieu. C’est pourquoi « celui qui viendra à moi, je ne le mettrai pas dehors ». Pourquoi ? Parce que « je suis venu faire, non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Je suis apparu humble, je suis venu enseigner à devenir humble, je suis le docteur de l’humilité. Celui qui vient à moi, s’incorpore à moi ; celui qui vient à moi, devient humble ; celui qui s’attache à moi, pratique l’humilité ; car il fait, non point sa propre volonté, mais celle de Dieu ; aussi ne le mettrai-je pas dehors, bien que je l’aie rejeté loin de moi, lorsqu’il était orgueilleux.
17. Le Psalmiste appelle notre attention sur ces choses intérieures : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Vois ce que c’est que pénétrer à l’intérieur de Dieu, se mettre sous sa protection, courir même au-devant des coups de ce bon Père. Car il châtie tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants. « Les enfants des hommes

  1. Sir. 10, 15, 14, 9, 10