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pains à la subsistance d’une multitude, rendit la santé à un paralytique sous l’un de ces portiques[1]. La foule était assise sur l’herbe ; le peuple juif jugeait de tout dans un sens charnel ; il n’avait que des espérances charnelles, car toute chair n’est que de l’herbe[2]. Qu’étaient-ce encore que tous ces restes, sinon ce que le peuple n’avait pu manger ? Sous cet emblème on voit les vérités transcendantes auxquelles ne peut atteindre l’intelligence de la multitude. Pour ces vérités, d’un ordre supérieur aux lumières de la foule, que reste-t-il à faire, quand on ne peut les saisir, sinon de croire ceux qui, à l’instar des Apôtres, peuvent les comprendre et en instruire les autres ? C’est avec ces restes qu’on a remplis douze corbeilles. Prodige admirable en raison de sa grandeur ! Prodige d’une évidente utilité, puisqu’il a été opéré pour le bien des âmes ! Ceux qui en furent les témoins se sentirent saisis d’admiration ; pour nous, nous n’éprouvons aucun étonnement à en écouter le récit. Le Sauveur l’a opéré devant ces cinq mille hommes pour les rendre témoins du fait ; l’Évangéliste en a écrit l’histoire, pour nous l’apprendre. La foi doit nous faire voir ce qu’ils ont eux-mêmes contemplé, car nous apercevons des yeux de l’âme ce que nous n’avons pu apercevoir des yeux du corps ; et, sous ce rapport, nous sommes autrement privilégiés que cette multitude ; car à nous s’appliquent ces paroles de Jésus-Christ : « Bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient[3] ». À cet avantage s’en ajoute peut-être encore un autre : c’est que nous avons saisi le sens caché de cet événement qui a échappé à cette foule de peuple ; et ainsi nous avons été nous-mêmes rassasiés, puisque nous avons pu réussir à trouver la farine, malgré l’épaisseur de la paille.

7. Enfin, que pensèrent de ce prodige les hommes qui en furent témoins ? « Or », dit l’Évangéliste, « tous ayant vu le miracle que Jésus-Christ avait fait, disaient : Celui-ci est véritablement le Prophète qui doit venir dans le monde ». C’était, sans doute, parce qu’ils étaient assis sur l’herbe, qu’ils considéraient le Christ seulement encore comme un Prophète. Il était déjà le Dieu des Prophètes ; il en accomplissait les oracles ; il les avait tous sanctifiés ; de plus, il était lui-même un Prophète, car il avait été dit à Moïse : « Je leur susciterai un Prophète semblable à toi ». Semblable selon la chair, mais non selon la dignité. Que cette promesse du Seigneur doive s’appliquer au Christ, nous en lisons la preuve sans réplique dans les Actes des Apôtres[4]. Le Sauveur dit aussi de lui-même : « Un prophète est toujours honoré, excepté dans son pays[5] ». Le Sauveur est prophète et aussi Verbe de Dieu, et aucun prophète ne peut prédire l’avenir sans l’assistance du Verbe de Dieu. Le Verbe de Dieu assiste donc les Prophètes il est lui-même un Prophète. Sous l’Ancien Testament, les hommes ont eu le bonheur d’entendre la voix des Prophètes inspirés et remplis du Verbe de Dieu ; pour nous, nous avons eu celui d’entendre, comme Prophète, le Verbe de Dieu en personne. Le Christ, chef divin des Prophètes, était lui-même Prophète, de la même manière que, souverain Maître des anges, il était aussi un ange. Car, il a encore été dit de lui qu’il est l’ange du grand conseil[6]. Toutefois, ce Prophète dit en un autre endroit : Le salut ne vous sera apporté ni par un envoyé de Dieu, ni par un ange ; le Seigneur viendra en personne pour les sauver[7] : c’est-à-dire, pour les sauver, il n’enverra ni un député, ni un ange, il viendra en personne. En quelle qualité viendra-t-il ? En qualité d’ange, car il en est un. On ne peut donc dire qu’il les sauvera par le ministère d’un ange, si ce n’est que parce qu’il en est un, au point d’être le souverain Maître des anges. En latin, ange signifie : porteur de messages. Or, si le Christ ne portait aucun message, on ne lui donnerait point le nom d’ange ; comme on ne lui donnerait point celui de Prophète, s’il ne prédisait pas l’avenir. Il nous a excités à la foi et à la conquête de la vie éternelle : pour cela, il nous a fait connaître des choses présentes, et prédit des choses à venir ; en tant qu’il nous a fait connaître des choses présentes, il était un ange : en tant qu’il nous prédisait des choses à venir, c’était un Prophète ; et, parce qu’étant le Verbe de Dieu, il s’est fait chair, il était le souverain Seigneur des anges et des Prophètes.

  1. Jn. 5, 2-9
  2. Isa. 40, 6
  3. Jn. 20, 29
  4. Deut. 18, 18 ; Act. 7, 37
  5. Jn. 4, 44
  6. Isa. 9, 6, suiv. les Septante
  7. Id. 24, 4