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autres ce que nous savons, dans le désir d’apprendre s’ils connaissent ce sur quoi nous les questionnons. Sous ce double rapport, le Seigneur était parfaitement instruit d’abord, ce qu’il demandait, il le savait, puisqu’il savait ce qu’il ferait ; ensuite, il n’ignorait pas davantage que Philippe n’en savait rien. S’il le questionnait, c’était donc afin de donner la preuve de son ignorance. Et maintenant, pourquoi a-t-il voulu donner cette preuve ? Je l’ai dit : nous le comprendrons plus tard.

4. « André lui dit : Il se trouve ici un enfant, qui a cinq pains et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour une si grande multitude ? » En réponse à la question du Sauveur, Philippe avait fait cette remarque, que deux cents deniers ne suffiraient pas pour rassasier cette immense multitude ; un enfant se trouvait là, en ce moment même : il avait cinq pains d’orge, et deux poissons. « Jésus dit donc : Faites-les asseoir ; il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu-là, et tous s’assirent au nombre d’environ cinq mille. Or, Jésus prit les pains, il rendit grâces », et, d’après ses ordres, les pains furent rompus et placés devant les convives. Ce n’étaient plus seulement les cinq pains : c’était encore ce qu’y avait ajouté le Créateur du surplus. « Il fit de même des poissons, et leur en distribua autant qu’il en fut besoin ». Non seulement cette multitude fut rassasiée, il y eut encore des restes ; il les fit donc recueillir, afin qu’ils ne fussent point perdus, et « ses disciples remplirent douze corbeilles avec ces morceaux de pain ».

5. Allons vite. Par les cinq pains on entend les cinq livres de Moïse : c’est, à vrai dire, de l’orge, et non du blé ; car ils appartiennent à l’Ancien Testament. Vous le savez : l’orge est conformée de telle manière, qu’on parvient difficilement à y trouver la farine ; car elle est renfermée dans une enveloppe de paille épaisse et résistante ; on ne l’en fait sortir qu’avec peine. Ainsi en est-il de la lettre de l’Ancien Testament, car elle est enveloppée dans les ombres de figures charnelles ; si on parvient jusqu’à son sens caché, elle nourrit et rassasie l’âme. Un enfant portait ces cinq pains et deux poissons. Si nous voulons savoir quel était cet enfant, nous verrons peut-être qu’il représentait la nation juive ; car elle portait les livres de Moïse avec le peu de réflexion d’un entant, et ne s’en nourrissait pas ; en effet, ces livres dont elle était chargée, accablaient de leur poids celui qui n’y voyait qu’une lettre close ; ils nourrissaient, au contraire, ceux qui en pénétraient le sens. Pour les deux poissons, ils étaient, ce nous semble, la figure de ces deux personnages distingués entre tous, qui, dans l’Ancien Testament, recevaient l’onction sainte pour exercer ensuite, au milieu du peuple, les fonctions du sacerdoce et de la royauté, pour offrir le sacrifice et gouverner. Il est venu mystérieusement, un jour, dans le monde, Celui que préfiguraient ces deux personnages, Celui que représentait la farine d’orge et que la paille d’orge cachait de son enveloppe, Il est venu, réunissant en lui seul la double dignité de grand prêtre et de roi : de grand prêtre, car il s’est offert lui-même à Dieu pour nous comme une victime ; de roi, puisqu’il nous gouverne ; et ainsi brise-t-il les sceaux du livre fermé que portait le peuple d’Israël. Et le Sauveur donna l’ordre de rompre les pains, et, à ce moment-là même, ils se multiplièrent. Rien de plus vrai. En effet, que de livres on a écrits pour expliquer les cinq livres de Moïse ! En les rompant, en quelque sorte, c’est-à-dire en en exposant le sens, n’a-t-on pas travaillé à une multiplication de livres ? L’ignorance du peuple juif, quant au sens de la loi, se trouvait comme protégée par une sorte de paille d’orge ; car, en parlant de ce peuple, l’Apôtre a dit : « Jusqu’à ce jour, lorsqu’ils lisent Moïse, ils ont un voile sur le cœur[1] ». Ce voile n’était pas encore enlevé, parce que le Christ n’était pas encore venu ; il n’avait pas encore été attaché à la croix, et n’avait, par conséquent, pas non plus déchiré le voile du temple. Ce peuple ignorait donc le sens de la loi : voilà pourquoi le Sauveur interrogea son disciple et manifesta son ignorance.

6. Rien ici n’est inutile ; tout a un sens, mais il faut des lecteurs qui le comprennent. En effet, le nombre lui-même des personnes nourries par Notre-Seigneur représentait le peuple soumis à la loi. Car, pourquoi se trouvaient-elles au nombre de cinq mille, sinon parce qu’elles étaient les sujets de la loi, qui se compose des cinq livres de Moïse ? Aussi, les paralytiques étaient-ils déposés aux cinq portiques du temple, sans y être néanmoins guéris ; mais celui qui, ici, pourvut avec cinq

  1. 2Co. 3, 15