Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/515

Cette page n’a pas encore été corrigée

dors, et sors d’entre les morts ; et Jésus-Christ t’éclairera [1] » ; et aussi dans cette leçon : « Quand les morts entendront, et ceux qui auront entendu vivront ». Ils étaient morts du côté du mal, c’est pourquoi ils reviennent à la vie. En redevenant vivants, ils meurent du côté du bien, parce qu’ainsi ils ne sont plus ce qu’ils étaient. N’être plus ce qu’on était d’abord, c’est mourir. Mais peut-être ne doit-on pas donner le nom de mort à cette transition du mal au bien ? L’Apôtre la désigne sous le nom de mort : « Si donc vous êtes morts avec Jésus-Christ à ces premiers éléments du monde, pourquoi vous en faites-vous encore des lois, comme si vous viviez dans le monde[2] ? » Il dit ailleurs : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ[3] ». Il veut que nous mourions pour arriver à la vie, parce que nous avons vécu de manière à mourir. Tout ce qui passe du bien au mal, mu du mal au bien, tout ce qui meurt, par conséquent, Dieu y est étranger, parce que l’infinie bonté ne peut devenir plus miséricordieuse, parce que la véritable éternité ne peut rien perdre de son étendue. Le titre de véritable appartient sans aucun doute à l’éternité qui ne subit aucune des variations du temps. Eprouver tantôt une manière d’être, et tantôt une autre, c’est le propre du temps, et là où se trouve une fois le temps, là n’est plus l’éternité. Remarque donc bien que Dieu ne ressemble pas à une âme humaine. L’âme est indubitablement immortelle. Mais pourquoi l’Apôtre, en parlant de Dieu, dit-il « qu’il possède seul l’immortalité[4] ? » Par là, il a certainement voulu dire : il possède seul l’immortalité, parce qu’il possède seul la véritable éternité. Donc, en lui ne se trouve aucune variation.
10. Reconnais en toi-même une chose dont je veux te parler : elle est au dedans de toi, dans la partie la plus intime de ton être. Et quand je parle de toi, il n’est pas question de ton corps, quoiqu’on puisse dire qu’il est toi. Tu jouis d’une bonne santé, tu es parvenu à tel âge, mais c’est par rapport à ton corps tuas encore des pieds et des mains ; le mot : en toi, peut donc s’entendre de deux choses très-différentes, ou de la portion la plus secrète de ton être, ou de celle qui lui sen comme de vêtement. Mais laisse au-dehors cette enveloppe mortelle, ce corps matériel descend au dedans de toi-même, pénètre jusqu’au sanctuaire de ton âme, et découvre là, si tu en es capable, ce que je veux t’y montrer. Si, en effet, tu restais éloigné de toi-même, comment serais-tu à même de t’approcher de Dieu ? Je te parlais de Dieu, et tu pensais pouvoir me comprendre : maintenant je te parle de Ion âme, de toi-même ; comprends-moi donc : c’est ici que je veux te mettre à l’épreuve. Tu le vois, je ne vais pas bien loin chercher un exemple, puisque je prétends te montrer dans ton âme elle-même une sorte de ressemblance avec ton Dieu ; et, de fait, si l’homme a été créé à l’image de Dieu, cette image est gravée, non dans son corps, mais dans son âme. Cherchons donc Dieu dans sa ressemblance ; reconnaissons le Créateur dans son image ; efforçons-nous autant que possible de trouver au dedans de nous-mêmes la solution du problème qui nous occupe, à savoir, comment le Père montre au Fils, et commuent le Fils voit ce que lui montre le Père, même avant que le Père fasse quelque chose par le Fils. Lorsque je t’aurai donné mon explication et que tu m’auras compris, ne t’imagine pas que ma comparaison soit parfaite : tu dois conserver le sentiment de la piété, comme je le dis et te le recommande particulièrement : c’est-à-dire, si tu ne peux comprendre ce qu’est Dieu, tu ne regarderas pas, néanmoins, comme un mince avantage de savoir ce qu’il n’est pas.
11. Je vois, dans ton âme, deux facultés, la mémoire et la pensée : ce sont en quelque sorte comme la pointe et l’œil de cette âme. Tu aperçois un objet : tes yeux t’aident à le bien connaître, et la connaissance que tu en acquiers, tu la confies à ta mémoire. Ce que tu lui as ainsi confié, reste là, au dedans de toi-même, caché en lieu secret, comme le grain est enfermé dans un grenier, comme un trésor dans un coffre : il y demeure comme dans un endroit retiré, caché, à l’abri de tout regard profane. Tu penses à autre chose, ton attention se porte ailleurs : ce que tu as aperçu, l’objet dont tu as gravé l’image dans ta mémoire, tu ne l’aperçois pas. Car tes pensées se fixent sur d’autres objets. En voici la preuve : je m’adresse à des personnes qui me comprennent. Je nomme Carthage ; aussitôt tous ceux qui la connaissent, rentrent en eux-mêmes et l’y aperçoivent. Y a-t-il

  1. Eph. 5, 14
  2. Col. 2, 20
  3. Id. 3, 3
  4. 1 Tim. 6, 16