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ces témoignages il préfère celui de ses propres œuvres. Ces hommes apportaient au Fils de Dieu l’appui de leur parole ; mais ils n’étaient, à proprement parler, que les organes de Dieu lui-même. Le Très-Haut emploie un autre moyen pour attester la divinité de son Fils il fait connaître son Fils par ce Fils même, et il se fait connaître lui-même par son Fils. Si l’homme peut parvenir jusqu’à Jésus-Christ, il n’aura plus besoin de lampes pour être éclairé, et, en creusant des fondations profondes, il assoira sûrement son édifice sur la pierre.

5. Mes frères, d’après ce qui précède, il est facile de saisir le sens de la leçon d’aujourd’hui. Hier, je suis resté en dette avec vous, je ne l’ignore pas ; mais si je ne vous ai pas tout dit, l’occasion de le faire a été différée et nullement perdue, et le Seigneur a bien voulu me permettre de m’acquitter à votre égard, et de vous adresser aujourd’hui la parole. Rappelez-vous donc ce que vous êtes en droit d’exiger de moi ; ranimons en nous les sentiments de piété et de salutaire humilité que nous avions conçus peut-être jusqu’à un certain point, afin de nous étendre non pas contre Dieu, mais jusqu’à Dieu, et d’élever nos âmes jusqu’à lui, en les répandant sur nous, selon cette expression du Psalmiste : « Où est ton Dieu ? Je repassais ces paroles dans mon cœur et je répandais mon âme sur moi-même [1] ». Élevons donc notre âme vers Dieu, mais non contre Dieu. Le Prophète nous y exhorte encore en ces termes : « J’ai élevé mon âme vers vous, Seigneur[2] ». Et, pour l’élever ainsi, réclamons le secours de Dieu ; car elle est bien appesantie. Mais d’où lui vient sa pesanteur ? De ce que le corps, qui se corrompt, alourdit l’âme, et de ce que cette habitation terrestre abat l’esprit capable de beaucoup de pensées [3]. Oui, demandons le secours d’en haut, dans la crainte de ne pouvoir isoler notre esprit de la multitude de ses pensées pour l’appliquer à un seul objet, ni relever vers Dieu seul une âme abaissée par une foule de préoccupations étrangères ; car, je viens de le dire, la grâce divine est seule capable de produire ce mouvement ascensionnel vers lui, que le Seigneur veut nous voir opérer. Par là seulement, nous pourrons comprendre, dans une certaine mesure comment le Verbe divin, Fils unique du Père, coéternel et égal à Celui qui l’a engendré, ne fait rien que ce qu’il a vu faire à son Père, tandis que le Père ne fait rien que par ce Fils qui le voit. En cet endroit, Notre-Seigneur Jésus a voulu, ce me semble, enseigner aux personnes attentives un grand mystère, le faire pénétrer dans les intelligences suffisamment développées, et exciter à l’étude celles qui ne le sont pas assez, afin que, si elles ne sont point perspicaces, elles méritent du moins, par la pratique de la vertu, de recevoir la vérité. Il nous a donc appris que l’âme humaine, l’intelligence raisonnable, qui nous anime et nous distingue de la bête, ne peut trouver ni son aliment, ni son bonheur, ni son illumination que dans une certaine participation de la substance divine cette âme agit par le corps et avec le corps ; elle le tient sous sa dépendance ; les objets matériels avec lesquels il se trouve en rapport, peuvent procurer à ses différents sens du plaisir ou de la douleur ; aussi, et précisément en raison de l’union intime qui existe entre l’âme et le corps, à cause de leur étroite alliance pendant le cours de cette vie, l’une partage les plaisirs et les souffrances éprouvés par les sens de l’autre ; mais, pour elle, la science du véritable bonheur se trouve uniquement dans la jouissance de cette vie toujours nouvelle, à l’abri de toute vicissitude, et éternelle, qui fait le propre de la substance divine ; comme le corps, qui est inférieur à l’âme, puise sa vie dans son union avec l’âme, qui est elle-même inférieure à Dieu, ainsi l’âme puise son vrai bonheur, sa véritable vie, dans le seul Être qui est au-dessus d’elle. De même, en effet, que l’âme est supérieure au corps, de même est-elle inférieure à Dieu ; elle prête son appui à son inférieur, elle reçoit sa force de son supérieur ; pour dominer son esclave et ne pas se laisser écraser par lui, elle doit donc se soumettre à Dieu et lui obéir. Voilà, mes frères, en quoi consiste cette religion chrétienne qui se prêche dans le monde entier au grand désespoir de ses ennemis, qui excite leurs murmures dès qu’elle les domine, qui subit leurs persécutions dès qu’ils se voient les plus forts. Elle consiste à adorer un seul Dieu, et non à en adorer plusieurs ; car l’unique Maître de l’univers peut seul rendre heureuse l’âme humaine. Le principe de sa félicité, c’est de participer à la nature divine. En se communiquant

  1. Ps. 41, 4-5
  2. Id. 24, 1
  3. Sag. 9, 15