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égal à son Père, éternel comme lui, coéternel à lui : pour nous, nous avons été créés par le Fils et adoptés par l’Unique ; aussi, quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parlait à ses disciples, jamais il n’a dit du Dieu souverain, son Père : Notre Père ; niais : Mon Père, ou bien : Votre Père. Il n’a pas dit : Notre Père ; cela est si vrai que, dans un certain endroit de l’Évangile, il a proféré ces deux paroles : « Je m’en vais à mon Dieu et à votre Dieu ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : Notre Dieu ? « Et à mon Père et à votre Père [1] ». Il n’a pas dit : Notre Père. Il parle donc de manière à unir les choses sans les confondre, et à les distinguer les unes des autres sans les séparer ; il veut montrer que nous ne faisons qu’un en lui, et que le Père et lui ne font qu’un.
4. Nous aurons beau comprendre et beau voir, même lorsque nous aurons été égalés aux esprits angéliques, jamais nous ne versons comme voit le Fils. Lors même que nous ne voyons pas, nous sommes quelque chose, et, alors, que sommes-nous ? Évidemment, des hommes qui ne voient pas. Bien que ne voyant pas, nous existons cependant, et, afin de voir, nous nous tournons vers celui qu’il nous faut voir, et ainsi s’opère en nous la vision qui ne s’y trouvait point auparavant, quoique nous existions. L’homme qui ne voit pas, n’en est pas moins un homme, et quand une fois il est parvenu à voir, on dit toujours de lui qu’il est un homme, mais un homme qui voit. Car, pour lui, autre chose est de voir, autre chose est d’être un homme ; si, en effet, voir et être homme était, pour lui, la même chose, jamais il ne pourrait exister sans voir. Dès lors qu’il ne voit pas et qu’il cherche à voir ce qu’il ne peut encore contempler, il est donc à même de chercher à voir et de se convertir pour y arriver ; et s’il se convertit sincèrement et qu’il parvienne à voir, après avoir été un homme qui ne voyait pas, il devient un homme qui voit. La vue lui est donc accordée ou retirée, selon qu’il se tourne vers Dieu ou qu’il s’en éloigne. En est-il de même du Fils ? Non. Y a-t-il jamais eu un temps où le Fils n’ait pas vu, et un autre temps où il ait commencé à voir ? Mais voir le Père et être le Fils, c’est, pour lui, une seule et même chose. En nous détournant de Dieu pour nous jeter dans l’iniquité, nous perdons de vue les rayons de la lumière d’en haut : aussitôt que nous revenons à lui, l’éclat de cette lumière vient à nouveau frapper nos yeux. Il n’y a aucune similitude entre la lumière qui vient nous éclairer, et nous-mêmes ; car cette lumière ne se détourne pas d’elle-même, et ne perd jamais rien de son éclat, parce qu’elle est essentiellement la lumière. Le Père montre donc au Fils ce qu’il fait, en ce sens qu’en son Père le Fils voit toutes choses, et qu’il y est toutes choses. Par le fait qu’il voyait, il est né, et par cela même qu’il est né, il voit. Remarque-le, néanmoins : il n’a jamais été Sans exister, et jamais il n’a commencé à être : il n’a jamais été sans voir, et jamais il n’a commencé à voir. Car, en lui, voir et être ne constituent qu’une seule et même chose : en lui se rencontrent, tout à la fois, l’existence, la permanence, l’immuabilité, la vie éternelle, sans commencement et sans fin. Ne nous nourrissons donc point d’illusions matérielles : le Père n’est point assis, ne travaille pas, et ne montre pas au Fils ce qu’il fait : à son tour, le Fils ne regarde pas l’œuvre opérée par le Père, pour en faire lui-même une pareille, mais dans un autre endroit et avec des matériaux différents ; car « toutes choses ont été faites par lui, et, sans lui, rien n’a été fait ». Le Fils est la Parole du Père, et Dieu n’a rien dit qu’il ne l’ait dit en son Fils. En disant, en son Fils, ce qu’il devait faire par lui, le Père a engendré ce même Fils par lequel il devait faire toutes choses.
5. « Et il lui montrera de plus grandes œuvres que celles-ci, et vous serez dans l’admiration ». Nouveau sujet d’embarras. Qui pourrait jamais sonder parfaitement un pareil mystère ? Mais comme il a daigné nous parler, le Sauveur nous en a mis la clef dans les mains. Il n’aurait certainement pas voulu nous dire ce qu’il ne voudrait pas nous voir croire : puisqu’il a bien voulu nous adresser la parole, il est sûr qu’il a eu l’intention de nous rendre attentifs, et puisque tel a été son dessein, nous abandonnerait-il maintenant à nous-mêmes ? Nous vous l’avons dit de notre mieux : La science du Fils n’a rien qui tienne du temps : autre chose n’est pas la science du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; autre chose n’est pas la vision du Fils, et, autre chose, le Fils lui-même ; mais la vision, la science et la sagesse du Père, c’est le Fils : elles sont éternelles, elles viennent de l’éternel,

  1. Jn. 20, 17