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croire en ce qu’ils ne voyaient pas encore, taudis qu’ils voyaient ce qu’ils aimaient. Alors, s’attachant davantage à ce qu’ils voyaient, ils ont banni Dieu de leurs cœurs ; et comme le Seigneur n’était point en eux, ils ont été dévorés tout vivants. Qu’est-ce à dire, dévorés tout vivants ? En offrant de l’encens à des idoles, quand ils savaient que l’idole n’est rien. Car, s’ils eussent cru que l’idole fût quelque chose, ils eussent été morts avant d’être absorbés ; mais croire que l’idole n’est rien, que le culte des Gentils n’est qu’une folie, c’est vivre ; et quand néanmoins ils obéissent aux injonctions des persécuteurs, ils sont absorbés tout vivants. Mais ils sont absorbés tout vivants, précisément parce que le Seigneur n’était pas avec eux. Ceux en qui habite le Seigneur peuvent bien être tués, mais ne meurent point. Ceux qui, après avoir consenti à ces sacrilèges, vivent encore, sont absorbés tout vivants, et, une fois absorbés, ils meurent. Ceux, au contraire, qui souffrent sans succomber à la violence, tressaillent et disent : « Qu’Israël chante maintenant », qu’il chante dans sa joie, qu’il chante avec sécurité : « Si le Seigneur n’eût été avec nous, quand les hommes se soulevaient contre nous, peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants ».
6. « Quand leur fureur s’allumait contre nous ». Vous savez, mes frères, que dans un des psaumes précédents, à l’entrée même de ces cantiques des degrés, un homme, qui commençait à monter, demandait du secours contre la langue trompeuse, et s’écriait : « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse[1] ». Quand un homme, en effet, commence à s’élever et à faire des progrès, au premier pas il rencontre les langues trompeuses, caressantes pour le perdre, caressantes pour lui persuader le mal : Que fais-tu, lui dit-on ? Pourquoi vivre de la sorte ? Ne peut-on vivre autrement ? Ne peut-on autrement servir Dieu ? Tu es le seul pour vouloir être ce que les autres ne sont point. Mais si tu en trouves pour vivre comme toi, que dit alors cette langue flatteuse et fourbe ? Ceux-là ont pu, il est vrai ; mais toi, pourras-tu ? Tu entreprends pour abandonner ensuite ; mieux vaudrait ne rien entreprendre, que perdre courage après avoir commencé. Langue trompeuse, et flatteuse jusque-là. Mais si la fermeté vient à déjouer ses flatteries artificieuses, elle prend le ton de la violence ouverte : elle te flattait pour te séduire, elle va menacer pour t’entraver. Mais site Seigneur est en toi, si dans ton cœur tu n’as pas abandonné le Christ, de même que tu as vaincu les langues trompeuses, avec tes flèches aiguës, tes charbons dévorants, c’est-à-dire par les paroles de Dieu qui avaient transpercé lori cœur, par les exemples des justes qui, de la mort sont revenus à la vie, du péché à la justice, comme des charbons éteints qui se rallument : de même qu’au moyen de flèches et de charbons dévorants tu as pu vaincre ces trompeurs séduisants, ces flatteurs artificieux, de même tu vaincras ces hommes violents, qui ont recours à la menace après avoir échoué dans les séductions. Vaincus dans leurs flatteries, qu’ils soient aussi vaincus dans leurs menaces. Mais comment les vaincre, « si le Seigneur n’est avec nous ? » Évidemment ce n’est point toi qui peux vaincre, mais Celui qui est en toi. Tu portes dans ton cœur un tel capitaine, et tu serais vaincu ? N’est-ce point Celui qui est en toi qui a dit : « J’ai vaincu le monde[2] ? » N’a-t-il pas le premier vaincu le diable en mourant, parce qu’il était toujours supérieur à toute créature, puisque le Verbe est Dieu en Dieu ? Pourquoi cette victoire, sinon pour t’apprendre à combattre le diable ? Et néanmoins, bien que tu saches déjà, tu seras vaincu si tu n’as en toi Celui qui le premier a vaincu pour toi. « Si le Seigneur n’eût, été avec nous, quand les hommes se soulevaient contre nous, peut-être nous eussent-ils dévorés tout vivants. Quand leur colère s’allumait contre nous » ; voilà des colères, des violences ouvertes. « Peut-être l’eau nous eût-elle submergés[3] ». Cette eau désigne les peuples pécheurs ; la suite va nous montrer quelles sont ces eaux, car elles eussent englouti quiconque aurait consenti aux suggestions des hommes. Il fut mort comme les Égyptiens sans pouvoir traverser comme les Israélites. Vous savez, mes frères, que le peuple d’Israël traversa les eaux, et que ces mêmes eaux engloutirent le peuple égyptien[4]. « L’eau nous eût engloutis », dit le Prophète.
7. Mais quelle est – cette eau ? C’est un torrent qui s’élance avec impétuosité, mais qui passera. On appelle torrents ces courants que grossissent tout à coup les pluies de l’hiver,

  1. Ps. 119,2-4
  2. Jn. 16,33
  3. Ps. 123,4
  4. Exod. 14,22-29