Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/466

Cette page n’a pas encore été corrigée

tous, pour Dieu, qu’un cœur et qu’une âme[1] ; si la charité, envoyée du ciel aux hommes, fait d’un grand nombre de cœurs un seul cœur, et de plusieurs âmes une seule âme ; si, lorsque nous avons les mêmes pensées, et que nous nous aimons, mon âme et la tienne ne font plus qu’une seule âme : qu’à bien plus forte raison, à la source même de l’amour, le Père Dieu et le Fils Dieu font un seul Dieu !
5. Mais remarque bien les paroles qui ont jeté le trouble dans ton cœur : revoyons ensemble ce que nous avons cherché à découvrir au sujet du Verbe. Nous le reconnaissons déjà : « Le Verbe était Dieu ; je dis plus car, après ces mots : « Il était au commencement en Dieu », l’Évangéliste ajoute aussitôt : « Toutes choses ont été faites par lui ». Maintenant, je te presse de questions, je te remue, je te secoue et t’interpelle contre ta propre personne : tout ce que je te demande, c’est de ne pas oublier « que le Verbe était Dieu » et que « toutes choses ont été faites par lui ». Écoute maintenant les paroles qui t’ont jeté dans le trouble et porté â dire que le Fils est inférieur au Père ; voici ces paroles, elles sont celles de Jésus lui-même : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, que « ce qu’il voit faire au Père ». – C’est bien cela, dit l’Arien. – Explique-moi donc un peu ce passage : autant que je puis me l’imaginer, voici comme tu le comprends : Le Père fait certaines choses, et le Fils examine la manière dont il les fait, afin de pouvoir faire lui-même ce qu’il aura vu faire au Père. À l’entendre, ce sont deux ouvriers bien distincts l’un de l’autre : le Père et le Fils sont ainsi comme un patron et un apprenti on dirait un père apprenant à son fils l’exercice de son art. Tu le vois, je m’abaisse au niveau de ton intelligence charnelle ; pour un moment, mes pensées se conforment aux tiennes. Examinons donc si cette manière de comprendre les choses peut s’accorder avec ce que nous avons mutuellement dit du Verbe, avec ce que nous en pensons l’un et l’autre, à savoir que « le Verbe était Dieu »et que « par lui toutes choses ont été faites ». Suppose donc que le Père est un artisan occupé à faire certains ouvrages ; et que le Fils est un apprenti, puisqu’ « il ne peut rien faire « de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père » ; il jette, en quelque sorte, ses yeux sur les mains de son Père, afin de prendre modèle sur lui et de limiter parfaitement dans l’accomplissement de ses propres œuvres. Mais toutes ces œuvres qu’il fait lui-même et sur lesquelles il veut que son Fils porte ses regards pour en faire à son tour de pareilles, par qui le Père les fait-il ? Il te faut maintenant en revenir à ta première idée, à celle que tu as étudiée et adoptée avec moi, c’est-à-dire, qu’« au commencement était le Verbe », que « le Verbe était en Dieu », que « le Verbe était Dieu », et que « par lui toutes choses ont été faites ». Tu es convenu avec moi que toutes choses ont été faites par le Verbe ; puis, te laissant entraîner par un sens tout charnel et un mouvement irréfléchi, tu te figures à nouveau, d’une part, un Dieu qui agit, de l’autre un Verbe qui étudie ses opérations, afin d’agir ensuite lui-même de la manière dont ce Dieu l’aura fait. Qu’est. ce que Dieu fait sans l’intermédiaire de son Verbe ? S’il fait quelque chose sans le Verbe, toutes choses n’ont donc pas été faites par lui, et tu as cessé d’avouer ce que tu avouais ; mais si toutes choses ont été faites par le Verbe, corrige donc ce qu’il y a de défectueux dans ton sentiment. Le Père a fait des œuvres, et il ne les a faites que par son Verbe ; comment, alors, le Verbe peut-il porter ses regards sur le Père opérant sans le Verbe, afin d’accomplir ensuite lui-même des œuvres semblables ? Tout ce que le Père a fait, il l’a fait par le Verbe ; ou bien nous devons considérer comme faux ce passage : « Par lui toutes choses ont été faites ». Mais il est vrai que « toutes choses ont été faites par lui ». Ces paroles ne te semblaient peut-être pas assez formelles. En voici d’autres : « Et, sans lui, rien n’a été fait ».
6. Arrière donc les subtilités charnelles : cherchons ensemble à découvrir le sens de ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Cherchons-le, et puissions-nous être dignes de le découvrir. Je ne saurais vous le cacher, c’est une mystérieuse chose, une chose singulièrement ardue, de comprendre que le Père agit par le Fils, que les œuvres du Père ne sont pas distinctes de celles du Fils, mais que chacune des œuvres du Père se fait par l’intermédiaire du Fils, de manière à ce que le Père ne fasse rien sans le

  1. Act. 4, 32