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Dieu. Il sera pour toi la lumière de l’aurore, parce qu’il succédera, pour toi, aux ténèbres de ce monde ; et comme il demeure éternellement, il ne se lève, ni ne se couche comme le soleil. Il se lèvera pour toi, lorsque tu reviendras à lui, comme il s’est couché toutes les fois que tu t’en es éloigné. Donc, par ces paroles : « Prends ton lit », Jésus a dit, ce me semble : Aime ton prochain.
9. Mais la chose ne me paraît pas encore bien clairement établie : à mon avis, il nous faut expliquer plus au long comment il est question de la charité fraternelle dans le fait de l’enlèvement d’un lit ; car peut-être sommes-nous offusqués de voir qu’un lit, dépourvu de sens et d’esprit, soit l’image du prochain. Que notre frère ne s’irrite point d’être représenté à nos yeux sous la figure d’un objet sans âme ni intelligence. En effet, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ a lui-même reçu le nom de pierre angulaire, établie pour relier ensemble les deux murs de l’édifice [1]. On lui a aussi donné le nom de ce rocher du sein duquel s’échappe une source : « Et cette pierre était le Christ [2] ». Si le Christ a été appelé Pierre, y a-t-il rien d’étonnant à ce que le prochain soit appelé bois ? Il ne s’agit pas ici, néanmoins, d’un bois quelconque, pas plus qu’il ne s’agissait de n’importe quelle pierre ou de n’importe quel rocher. Car il était question du rocher qui fournit de l’eau pour désaltérer les Israélites, et de la pierre angulaire qui réunissait entre eux des murs bâtis en des sens différents. Tout bois n’est pas propre à figurer le prochain : un bois de lit en est seul capable. Je te le demande ; qu’y a-t-il à remarquer dans ce bois de lit ? Rien, sinon qu’il servait à porter le paralytique pendant qu’il était malade, tandis qu’il était à son tour porté par ce même homme revenu en santé. Qu’a dit l’Apôtre ? « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ[3] ». La loi de Jésus-Christ, c’est la charité, et nous ne pouvons accomplir le précepte de la charité, qu’à la condition de porter les fardeaux les uns des autres ; et il dit ailleurs : « Vous supportant avec charité les uns les autres, travaillant soigneusement à « conserver l’unité d’un même esprit par le lien de la paix [4] ». Lorsque tu étais malade, ton prochain te portait : tu es revenu à la santé, porte donc, à ton tour, ton prochain. « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ ». C’est ainsi, ô homme, que tu porteras ce qui te manquait. « Prends donc ton lit » ; mais quand tu l’auras pris, ne reste pas en place, « marche ». En aimant ton prochain, en prenant soin de lui, tu fais du chemin. De quel côté diriges-tu tes pas ? Vers le Seigneur ton Dieu, vers celui que nous devons aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit. Il nous est encore impossible d’arriver jusqu’à lui, mais avec nous se trouve notre prochain. Porte donc ton frère, puisque tu voyages avec lui, et par là tu arriveras jusqu’à celui avec qui tu désires demeurer toujours. « Prends » donc « ton lit et marche ».
10. Voilà ce que fit le paralytique, et les Juifs en furent scandalisés. Ils voyaient, en effet, un homme qui portait son lit le jour du sabbat : néanmoins ils ne faisaient point au Sauveur un reproche de ce qu’il l’avait guéri ce jour-là ; car il aurait pu leur répondre : « Qui d’entre vous, voyant son âne ou son bœuf tombé dans un puits, ne l’en retirerait aussitôt, et ne le sauverait le jour même du sabbat [5] ? » Ils ne reprochaient donc pas à Jésus d’avoir guéri cet homme le jour du sabbat ; mais ils faisaient à celui-ci un crime d’avoir porté un lit à pareil jour. De ce qu’il fallait immédiatement guérir ce malheureux, s’ensuivait-il qu’on pût ou dût lui prescrire une œuvre servile ? « Il ne t’est point permis », lui dirent-ils, « de faire ce que tu fais, de porter ton lit ». À cette observation méchante il opposa l’autorité de celui qui avait opéré sa guérison. Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri, m’a dit : Prends ton lit, et marche ». Celui qui m’a rendu la santé n’avait-il pas le droit de m’intimer en même temps des ordres ? Et ils lui demandèrent : « Quel est celui qui t’a dit : Prends ton lit, et marche ? »
11. « Et celui qui avait été guéri ne savait point qui lui avait donné cet ordre ». Car, après l’avoir guéri, et lui avoir commandé de prendre son lit et de marcher, « Jésus s’était éloigné de lui et perdu dans la foule ». Voyez comment ceci s’accomplit aussi par rapport à nous. Nous portons notre prochain

  1. Eph. 2, 14-20
  2. 1 Cor. 10, 4
  3. Gal. 6, 2
  4. Eph. 4, 2-3
  5. Lc. 14, 5