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lumière supérieure. Or, cette lumière supérieure dont l’intelligence humaine se trouve éclairée, c’est Dieu. En effet, « il était la lumière véritable qui éclairé tout homme venant en ce monde[1] ». Cette lumière, c’était le Christ, cette lumière s’entretenait avec la Samaritaine, mais cette femme était absente par son entendement ; son intelligence ne pouvait être éclairée par cette lumière ; elle était incapable, non pas d’en recevoir les rayons, mais de les percevoir. Aussi, comme pour lui dire : je veux éclairer quelqu’un, mais ce quelqu’un me manque, il lui adresse ces paroles : « Appelle ton mari », appelle ton entendement afin qu’il t’instruise et te gouverne. Représente-toi donc l’âme séparée de l’entendement sous l’emblème d’une femme, et l’entendement sous l’emblème de son mari. Toutefois le mari ne dirige bien sa femme qu’autant qu’il obéit lui-même à une direction venant de plus haut, Car le chef de la femme, c’est l’homme ; et le chef de l’homme, c’est le Christ [2]. Le chef de l’homme parlait avec la femme, et l’homme n’y était pas, et, comme si le Sauveur disait à la femme : Fais venir ton chef afin qu’il se soumette au sien, il prononce ces mots ; « Appelle donc ton mari et viens ici avec lui », ou en d’autres termes : viens ici ; mets-toi devant moi ; tu es comme absente aussi longtemps que tu n’entends pas la voix de la vérité qui se trouve devant toi. Mets-toi devant moi, mais n’y viens pas seule ; que ton mari s’y présente avec toi.
20. Mais comme cette femme n’a pas encore appelé son mari, elle n’entend pas, ses pensées demeurent charnelles. En effet, son mari est absent. « Je n’ai pas », dit-elle, « de mari ». Cependant le Seigneur continue à lui parler en mystère. Véritablement cette femme n’avait pas alors de mari ; mais, ainsi que tu le devines, elle vivait dans je ne sais quel commerce honteux et illégitime, dans le commerce non pas d’un mari, mais d’un adultère. Aussi le Seigneur lui répondit-il : « Tu as bien parlé, tu n’as pas de mari ». Pourquoi donc me disiez-vous : « Appelle ton mari ? » Remarque-le bien, Notre-Seigneur savait parfaitement qu’elle n’avait pas de mari. En voici la preuve : « Et il lui dit, etc. » Aussi, pour ne vas laisser à cette femme la pensée qu’il lui avait répondu : « Tu as bien parlé, tu n’as pasde mari », uniquement parce qu’elle venait de l’en instruire, et non parce que la lumière de sa divinité le lui avait fait découvrir, il lui réplique : Voici ce que tu ne m’as pas dit : « En effet, tu as eu cinq maris et celui que tu as n’est point ton mari ; ce que tu as dit est vrai ».
21. Par là Notre-Seigneur nous contraint de chercher avec plus d’attention quelque sens caché touchant ces cinq maris. Plusieurs ont cru, non sans fondement et même avec une certaine probabilité, voir dans les cinq maris de cette femme les cinq livres de Moïse. En effet, ils étaient reçus des Samaritains et formaient leur loi comme celle des Juifs : voilà sans doute pourquoi la circoncision était en usage chez ces deux peuples ; mais à cause de la difficulté que présentent les paroles suivantes « Et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari », nous pouvons plus aisément comprendre, ce me semble, que, sous l’emblème des cinq premiers maris, les cinq sens du corps sont désignés comme les époux de l’âme. Car à sa naissance, et avant d’avoir l’usage de son esprit et de sa raison, chaque homme n’a pour le régir que ses sens corporels. Ce qui tombe sous le sens de l’ouïe, de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher, voilà chez le petit enfant tout l’objet de ses répugnances ou de ses désirs. Ce qui flatte ses sens, il le recherche, il repousse ce qui les blesse ; car ce qui les flatte est plaisir, ce qui les blesse est douleur. C’est donc sous l’influence de ces cinq sens comme d’autant de maris que l’âme vit d’abord, parce que c’est par eux qu’elle est régie. Pourquoi leur donne-t-on le nom de maris ? Parce qu’ils sont légitimes. C’est Dieu qui les a formés, c’est Dieu qui les a donnés à l’âme. Elle est infirme tant qu’elle demeure sous la loi des sens et qu’elle agit sous l’autorité de ces cinq maris ; mais aussitôt que le temps est venu de délivrer la raison de leur influence, si l’âme se laisse diriger par une règle de conduite supérieure, et par les leçons de la sagesse, alors succèdent à l’empire et à l’influence des sens l’empire et l’influence d’un seul véritable et légitime mari, meilleur que les autres ; et ce mari la gouverne mieux, la dirige, la cultive, la prépare dans le sens de l’éternité. Loin de nous imprimer une direction qui aboutisse à l’éternité, les sens ne nous portent que vers les choses du temps, soit pour nous les faire désirer, soit pour nous

  1. Jn. 1, 9
  2. 1 Cor. 11, 3