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ou des citernes, on ne lui donne point le nom d’eau vive. L’eau vive est celle qui coule de source et qu’on puise dans son lit. Telle était l’eau de la fontaine de Jacob. Que lui promettait donc celui qui lui en demandait ?
13. Cependant cette femme ainsi tenue en suspens lui dit : « Seigneur, vous n’avez pas de vase pour puiser, et le puits est profond ». Reconnaissez à cela ce qu’elle entendait par eau vive. Elle entendait l’eau de la fontaine de Jacob. Vous voulez me donner de l’eau vive, mais le vase pour la puiser je l’ai entre mes mains, et il vous manque. Cette eau vive, elle est ici, comment pouvez-vous m’en donner ? Elle ne comprend pas les choses dans le vrai sens : elle en juge encore d’une manière charnelle ; et, toutefois, elle frappe d’une certaine manière pour que le maître lui ouvre la porte encore fermée. Elle frappe par son ignorance, non par ses désirs, elle était digne de la pitié du Sauveur, mais pas encore de ses instructions.
14. Le Seigneur lui parle de cette eau vive en termes plus clairs. Cette femme lui avait dit : « Êtes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits ; et lui-même en a bu, et ses enfants, et ses troupeaux ? » En d’autres termes : vous ne pouvez me donner de cette eau vive, car vous n’avez pas de vase pour en puiser ; sans doute celle que vous me promettez a sa source ailleurs. Pensez-vous donc valoir mieux que notre père, qui a creusé ce puits pour son usage et celui des siens ? C’est le moment que le Seigneur lui explique ce qu’il entend par eau vive. « Jésus lui répondit : Quiconque boira de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissante jusqu’à la vie éternelle ». Ici le langage de Notre-Seigneur est plus clair : « Cette eau deviendra en lui une source jusqu’à la vie éternelle. Celui qui boira de cette eau n’aura jamais soif ». Était-il possible de marquer plus clairement que s’il promettait de l’eau, c’était une eau invisible, et non pas une eau visible ; qu’il parlait selon l’esprit et non selon la chair ?
15. Néanmoins cette femme comprend encore les choses dans un sens charnel ; heureuse de penser qu’elle n’aurait plus soif, elle supposait que le Sauveur lui avait fait une pareille promesse dans le sens matériel : sans doute cette promesse se réalisera un jour, mais au jour de la résurrection des morts. La Samaritaine voulait la voir s’accomplir immédiatement. Aussi bien Dieu avait autrefois donné à son serviteur Élie de demeurer quarante jours sans éprouver ni faim, ni soif[1]. Celui qui a pu accorder une pareille grâce pendant quarante jours, ne peut-il pas l’accorder toujours ? Elle soupirait donc, ne voulant ni manquer d’eau, ni s’en procurer avec tant de fatigue. Venir continuellement à cette fontaine, s’en retourner chargée de la provision nécessaire pour subvenir à ses besoins ; puis, cette provision épuisée, se voir de nouveau contrainte à revenir, c’était là son travail de tous les jours, parce que cette eau qui soulageait la soif ne l’éteignait pas. Joyeuse de la promesse que lui fait le Christ de cette eau vive, elle demande au Seigneur de la lui donner.
16. Toutefois, n’oublions pas que le Sauveur lui promettait un don spirituel. Qu’est-ce à dire : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif ? » Parole véritable, si on l’applique à cette eau véritable encore, si un l’applique à ce dont elle était la figure. L’eau, au fond de ce puits, c’est la volupté du siècle dans sa ténébreuse profondeur. La cupidité des hommes, voilà le vase qui leur sert à y puiser. Leur cupidité les fait pencher vers ces profondeurs jusqu’à ce qu’ils en touchent le fond et y puisent le plaisir ; mais toujours la cupidité marche et précède. Car celui qui ne fait pas d’abord marcher la cupidité ne peut arriver au plaisir. Supposez donc que la cupidité est le vase avec lequel on puise, et que l’eau que l’on doit tirer du puits c’est le plaisir lui-même, et le plaisir mondain que l’on goûte, c’est le boire, le manger, le bain, les spectacles, l’impureté ; celui qui s’y adonne n’en sera-t-il plus désormais altéré ? Donc Jésus dit avec raison : « Celui qui boira de cette eau aura encore soif » ; mais si je lui donne de mon eau, « il n’aura jamais soif ». Nous serons rassasiés, a dit le Prophète, « de l’abondance des biens de votre maison[2] ». De quelle eau donnera donc le Sauveur, sinon de celle dont il est écrit : « En vous est la source de vie ? » Comment, en effet, auront soif « ceux qui seront enivrés de l’abondance de votre maison[3].

  1. 1 R. 19, 8
  2. Ps. 114,5
  3. Id. 35, 10, 9