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puits, et c’est à la sixième heure du jour. Autant de circonstances significatives, qui nous donnent à penser et nous indiquent quelque chose : elles nous rendent attentifs et nous engagent à frapper. Qu’il ouvre donc a vous et à moi, celui qui a daigné nous encourager à frapper, en nous disant : « Frappez, et il vous sera ouvert [1] ». C’est pour toi, mon frère, que Jésus est fatigué du chemin. Nous voyons en Jésus, et la force et la faiblesse : il nous apparaît tout à la fois puissant et anéanti. Il est puissant, car « au commencement il était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; au commencement était en Dieu ». Veux-tu savoir quelle est la puissance de ce Fils de Dieu ? « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait » Y a-t-il rien de plus fort que celui qui a fait toutes choses sans éprouver de lassitude ? Veux-tu t’assurer qu’il a été faible ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[2] ». Par sa puissance, le Christ t’a créé ; il t’a donné une nouvelle vie, en s’anéantissant ; par sa puissance, il a fait ce qui n’était pas ; en devenant faible, il a empêché ce qui était de périr. C’est en sa force qu’il nous donne l’être ; c’est en son infirmité qu’il nous a attirés à lui.
7. Jésus-Christ s’est fait infirme pour nourrir des infirmes, pareil en cela à la poule qui nourrit ses poussins ; c’est la comparaison qu’emploie le Sauveur lui-même. « Combien de fois », dit-il à Jérusalem, « j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule ramasse ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu[3] ! » Vous savez, mes frères, comme une poule se fait petite par amour pour ses petits ; de tous les oiseaux, elle est la seule qui se montre véritablement mère. Nous voyons les passereaux faire leur nid sous nos yeux ; il en est de même des hirondelles, des cigognes, des pigeons ; mais nous ne nous apercevons qu’ils ont des petits qu’au moment où nous les voyons dans leurs nids. Pour la poule, elle se fait si petite pour ses petits que, même lorsqu’ils en sont éloignés et même sans qu’on les voie, on reconnaît qu’elle est mère. En preuve, ses ailes pendantes, ses plumes hérissées, la rudesse de sa voix, le laisser-aller et l’abattement de son corps, tout en elle, comme j’en ai fait la remarque, dénote une mère, lors même qu’on ne la verrait point suivie de sa petite famille. Voilà l’image de l’infirmité de Jésus fatigué par le chemin. Son chemin, c’est la chair qu’il a prise pour notre amour. En effet, quel chemin pouvait suivre celui qui se trouve partout et ne manque nulle part ? Où pouvait-il aller ? D’où pouvait-il venir ? Évidemment il venait vers nous, et il n’y venait qu’en se revêtant de la forme visible de notre corps. Puisqu’il a daigné venir parmi nous en prenant un corps, en se montrant dans la forme de serviteur, son incarnation est donc son chemin. C’est pourquoi « la fatigue qu’il a ressentie du chemin » n’est autre chose que la fatigue résultant pour lui de son Incarnation. L’infirmité de Jésus-Christ vient donc de son humanité ; mais ne t’affaiblis pas toi-même. Que l’infirmité de Jésus-Christ soit ta force ; car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que tous les hommes [4].
8. Sous ce point de vue Adam, image de l’homme futur[5], nous a donné un remarquable indice de ce mystère, ou plutôt Dieu nous l’a donné en sa personne. Car ce fut en dormant qu’il dut recevoir son épouse, formée d’une de ses côtes pour lui être donnée[6]. En effet, de Jésus-Christ endormi sur la croix devait sortir l’Église, elle devait sortir de son côté pendant son sommeil : car c’est de Jésus-Christ attaché à la croix et de son côté ouvert par la lance[7] que sont sortis les sacrements de l’Église. Mais, mes frères, pourquoi me suis-je exprimé ainsi ? C’est que l’infirmité de Jésus-Christ fait notre force. Cette figure ainsi montrée en Adam nous annonçait donc à l’avance un grand mystère. Sans doute, pour en former la femme, il aurait pu retirer de l’homme une portion de sa chair, et il semble même que cette façon d’agir aurait été plus convenable ; car il s’agissait de former le sexe le plus faible ; or, il est évident que la faiblesse serait provenue plutôt de la chair que des os, car les os sont ce qu’il y a de plus ferme en notre corps. Cependant il n’a pas retiré de la chair pour en former la femme ; mais il a retiré un os, et de cet os la femme a été formée, et à la place de cet os il a fait croître de la chair. Dieu pouvait y remettre un autre os ; il pouvait, pour former la femme, employer, non pas un os, mais de la chair. Qu’a-t-il donc voulu nous apprendre ? Parce que la femme a été formée d’une côte,

  1. Mt. 7, 7
  2. Jn. 1, 1, 3, 14
  3. Mt. 23, 37
  4. 1 Cor. 1, 25
  5. Rom. 5, 14
  6. Gen. 2, 21
  7. Jn. 19, 34