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une véritable santé ; partout, en effet, nous portons une infirmité toujours prête à défaillir, et qui nous trahit partout. Nul secours ne nous rend plus fermes ; on se lasse debout, on veut s’asseoir, mais peut-on demeurer toujours assis ? Ce que l’on choisit pour soulager une fatigue devient fatigue à son tour. Las de veiller, on veut dormir ; mais dormir ne deviendra-t-il pas une fatigue ? Fatigué de jeûner, on veut manger ; mais l’excès dans un repas nous rend plus malades. Notre faiblesse ne saurait persévérer dans aucune position. Qu’est-ce que la justice ? Quelle justice pouvons-nous avoir au milieu des tentations ? Nous pouvons éviter l’homicide, l’adultère, le larcin, le parjure, la fraude ; mais pouvons-nous éviter les pensées dépravées ? Pouvons-nous éviter les suggestions des abjectes convoitises ? À quoi donc se réduit notre justice ? Ayons donc toujours faim, ayons toujours soif, et des véritables richesses, et de la véritable santé, et de la véritable justice. Quelles sont les véritables richesses ? La demeure dans la céleste Jérusalem. Quel est l’homme que l’on appelle riche sur la terre ? Que dit-on d’un homme riche qu’on veut louer ? Il est bien riche, rien ne lui manque. C’est une louange véritable pour celui qui loue ; mais elle est fausse quand on dit que rien ne manque. Voyez en effet si rien ne manque à cet homme riche. S’il ne désire plus rien, il ne manque de rien ; mais, s’il désire de plus grands biens qu’il n’en possède, ses richesses n’ont grandi que pour grandir sa pauvreté. Or, dans cette cité bienheureuse, nous aurons les richesses véritables, puisque nous ne manquerons de rien ; aucune jouissance ne nous fera défaut, et notre santé sera parfaite. Quelle est la véritable santé ? « Quand la mort sera absorbée dans sa victoire, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, et ce corps mortel revêtu d’immortalité[1] », alors notre santé sera véritable, notre justice véritable et parfaite, nous serons dans l’impossibilité, non seulement de faire le mal, mais encore d’en avoir la pensée. Maintenant que nous sommes nécessiteux, pauvres, indigents, nous soupirons dans nos douleurs, nous gémissons, nous prions, nous levons les yeux vers le Seigneur : puisque les heureux de ce monde n’ont pour nous que le dédain, ils sont en effet dans l’abondance ; et que ceux qui sont dans le malheur en cette vie nous méprisent encore, eux aussi sont dans l’abondance, leur cœur est plein de justice, mais d’une fausse justice et comme ils sont enflés de cette fausse justice, ils n’arriveront point à la véritable. Mais toi, sois pauvre et mendiant à l’égard de la justice, afin d’arriver à la justice véritable écoute l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[2]. »

  1. 1 Cor. 15,53-54
  2. Mt. 5,6