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le prix aux pieds des Apôtres, afin qu’il fût distribué à chacun selon ses besoins. Vous n’ignorez pas non plus en quels termes l’Écriture parle de cette assemblée de saints. « Ils n’avaient tous qu’un cœur et qu’une âme dans le Seigneur [1] ». Si la charité avait fait de tant d’âmes une seule âme, et de tant cœurs un seul cœur, que peut faire celle qui unit le Père et le Fils ? Elle est sans doute plus ardente que celle qui unissait les chrétiens et faisait de leurs cœurs un seul cœur. Si donc par l’effet de la charité les cœurs de plusieurs frères deviennent un seul cœur, et leurs âmes une seule âme, diras-tu que Dieu le Père, et Dieu le Fils sont deux Dieux ? S’ils sont deux Dieux, la charité entre eux n’est donc pas souveraine. Eh quoi ! la charité peut devenir assez parfaite pour ne faire de ton âme et de l’âme de ton ami qu’une seule âme, et elle serait incapable d’unir en un seul Dieu le Père et le Fils ? Une foi sincère ne peut admettre pareille anomalie. Voyez plutôt la grandeur de la mutuelle charité qui unit les personnes divines : j’en trouve en ceci la preuve. Autant d’hommes, autant d’âmes ; si la charité les unit, on dit que cette multitude n’a qu’une âme ; et pourtant chez les hommes cette union de la charité n’est jamais si grande que la pluralité des âmes ne subsiste ; mais en Dieu on peut dire qu’il y a un seul Dieu, mais on ne peut dire qu’il y en ait deux ou trois. De là, tu dois conclure combien est souveraine et suréminente cette divine charité, puisqu’il est impossible d’en imaginer de plus grande.

10. « Car celui que Dieu a envoyé annonce les paroles de Dieu ». Jean parlait ainsi du Christ, pour se distinguer de lui. Eh quoi ! Jean lui-même n’est-il pas envoyé de Dieu ? N’est-ce pas lui qui a dit : « J’ai été envoyé devant lui[2] ? » Et encore : « Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau[3] ? » Enfin, n’est-ce pas de lui qu’il a été dit : « Voici que « j’envoie mon ange devant vous ; il vous préparera la voie ? » Celui-là n’annonce-t-il pas aussi les paroles de Dieu, dont il a été dit qu’il était plus que prophète[4] ? Si donc lui aussi a été envoyé de Dieu, si lui aussi annonce les paroles de Dieu, comment pouvons-nous comprendre qu’il a voulu se distinguer du Christ, lorsqu’il a dit : « Celui que Dieu a envoyé annonce les paroles de Dieu ? » Vois ce qu’il ajoute : « Car Dieu ne donne pas son Esprit avec mesure ». Qu’est-ce à dire, « car Dieu ne donne pas son Esprit avec mesure ? » Nous lisons quelque part que Dieu a donné son esprit avec mesure. Écoute l’Apôtre : il nous parle de la « mesure du don de Jésus-Christ [5] ». Aux hommes, Dieu donne avec mesure ; à son Fils unique, il donne sans mesure. Comment donne-t-il aux hommes avec mesure ? « À l’un est donnée par l’Esprit la grâce de parler avec sagesse ; à un autre, par le même Esprit, celle de parler avec science ; à celui-ci, la foi dans le même Esprit ; à celui-là, la prophétie ; à l’un, le don des langues ; à l’autre, la guérison des maladies. Tous sont-ils Apôtres ? Tous Prophètes ? Tous docteurs ? Tous font-ils des miracles ? Tous guérissent-ils les maladies ? Tous parlent-ils diverses langues ? Tous peuvent-ils être interprètes[6] ? » L’un a une chose, l’autre une autre ; ce qu’a l’un, l’autre ne l’a pas. Il y a dans ces dons de Dieu mesure et partage. En distribuant ses dons aux hommes, Dieu agit donc avec mesure ; et la concorde qui en résulte fait, de toutes les parties du corps, un seul corps. Autre, en effet, est le don d’agir, octroyé à la main ; autre celui de voir, accordé à l’œil ; autre celui d’entendre, concédé à l’oreille ; autre celui de marcher, donné aux pieds ; toutefois, c’est une âme unique qui fait tout cela, qui agit par la main, qui marche par le pied, qui entend par l’oreille, qui voit par l’œil. Ainsi en est-il des dons accordés aux fidèles : ils sont différents les uns des autres, et Dieu les distribue dans une proportion convenable à chacun des fidèles, comme à autant de membres d’un même corps. Mais Jésus-Christ, de qui ils les tiennent, les a reçus sans mesure.

11. Écoute encore ce qui suit. Jean avait dit du Fils : « Car Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure. Le Père aime le Fils, et il a mis toutes choses entre ses mains ». Puis il ajoute : « Il a mis toutes choses entre ses mains », pour le faire connaître la manière spéciale dont « le Père aime le Fils ». Quoi donc, le Père n’aime-t-il pas Jean ? Cependant il n’a pas mis toutes choses entre ses mains. Le Père n’aime-t-il pas Paul ? Cependant il ne lui a pas non plus commis toutes choses. « Pour le fils, le Père l’aime », mais à la

  1. 1Co. 4, 32
  2. Jn. 3, 28
  3. Id. 1, 33
  4. Mal. 3, 1 ; Mat. 11, 9-10
  5. Eph. 4, 7
  6. 1Co. 12, 8-10.29-30