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cette joie ? « Il est ravi de joie à cause de la voix de l’Époux ». Que l’homme comprenne qu’il ne doit pas trouver le sujet de sa joie dans sa propre sagesse, mais dans celle qu’il a reçue de Dieu. Qu’il n’en demande pas davantage, et il ne perdra pas ce qu’il a trouvé. Plusieurs, en effet, sont devenus insensés parce qu’ils se sont donnés comme sages. Ce sont eux que l’Apôtre reprend en ces termes : « Ce que l’on peut connaître de Dieu leur est connu ; car Dieu le leur a manifesté ». Mais Parce que plusieurs d’entre eux se sont montrés ingrats et impies, écoutez ce que dit Paul : « Car Dieu le leur a manifesté. En effet, les perfections invisibles de Dieu, aussi bien que son éternelle puissance et sa divinité, sont devenues visibles, depuis la création du monde, dans tout ce qui a été fait, en sorte qu’ils sont inexcusables ». Pourquoi sont-ils inexcusables ? « Parce que connaissant Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur cœur insensé fut rempli de ténèbres ; ces hommes qui se disaient sages sont devenus fous [1] ». En effet, s’ils avaient connu Dieu, ils auraient en même temps reconnu que toute leur sagesse ne venait que de lui. Ils ne se seraient donc pas attribué ce qu’ils n’avaient pas d’eux-mêmes, mais ils l’auraient attribué à celui de qui ils l’avaient reçu. C’est pour ne lui en avoir pas rendu grâces qu’ils sont devenus insensés. Ce que Dieu leur avait donné gratuitement, il le leur a ôté puisqu’ils se sont montrés ingrats. Jean n’a pas voulu se conduire ainsi, il a voulu être reconnaissant ; aussi a-t-il déclaré hautement que ce qu’il avait il le tenait de Dieu, et que toute sa joie venait de ce qu’il entendait la voix de l’époux : « Ma joie est accomplie ».
4. « Quant à lui, il faut qu’il grandisse et moi que je diminue ». Qu’est-ce à dire ? Il faut qu’il s’élève et moi que je m’humilie. Comment Jésus peut-il grandir ? Comment Dieu peut-il croître ? Ce qui est parfait n’est pas susceptible d’accroissement. Aussi Dieu ne saurait-il ni croître ni diminuer. Car s’il grandissait, il ne serait point parfait ; s’il pouvait diminuer, il ne serait pas Dieu. Puisque Jésus est Dieu, comment peut-il croître ? S’il est question de son âge, comme Jésus-Christ a daigné se faire homme, il a été enfant ; bien qu’il soit le Verbe de Dieu, il a été couché dans une crèche ; bien qu’il soit le Créateur de sa mère, il lui a cependant demandé le lait de son enfance : parce qu’avec l’âge Jésus-Christ a grandi dans son corps, c’est peut-être le motif pour lequel Jean a dit : « Il faut qu’il croisse, et moi que je diminue ». Mais même sous ce rapport, que signifie cette parole ? Au point de vue de leurs corps, Jean et Jésus étaient du même âge, il n’y avait entre eux que six mois de différence [2] ; ils avaient grandi dans la même proportion, et s’il avait plu à Notre-Seigneur de demeurer plus longtemps sur la terre avant de mourir et de faire partager à Jean sa longévité, ils auraient vieilli ensemble, comme ils auraient grandi. Pourquoi donc dire : « Il faut qu’il croisse et que je diminue ? » D’abord Notre-Seigneur avait déjà trente ans [3]. À cet âge est-on encore assez jeune pour grandir ? L’âge de trente ans n’est-il pas le moment où les hommes arrivent à leur retour et commencent à décliner vers un âge où l’on devient plus lourd et où l’on touche à la vieillesse ? D’ailleurs, si Jean avait voulu faire allusion à leur enfance mutuelle, il n’aurait pas dit : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue » ; mais : il faut que nous grandissions l’un et l’autre. Mais l’un avait trente ans, l’autre aussi, les six mois qui les séparaient ne constituaient pas une différence sensible entre eux : on connaît cette différence parce qu’on la lit ; mais les yeux n’aident aucunement à la découvrir.
5. Que veulent donc dire ces paroles : « Il faut qu’il grandisse, et moi que je diminue ? » Grand mystère ! Que votre charité s’applique à le comprendre. Avant la venue du Seigneur Jésus, les hommes se glorifiaient en eux-mêmes ; il s’est fait homme pour diminuer la gloire de l’homme et augmenter celle de Dieu. En effet, il est venu sans péché, et il a trouvé tous les hommes plongés dans le péché. Puisqu’il est venu pour remettre les iniquités des hommes, que Dieu leur en accorde le pardon et qu’ils les confessent. Pour l’homme, avouer ses fautes c’est s’humilier. Pour Dieu, pardonner c’est grandir. Si donc Jésus-Christ est venu pour remettre les péchés de l’homme, que l’homme reconnaisse sa bassesse, et que Dieu lui octroie sa miséricorde. « Il faut qu’il grandisse et moi que je

  1. Rom. 1, 19-22
  2. Lc. 1, 36
  3. Id. 3, 23