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Jean, privilégié de sa grâce, il a été envoyé devant Notre-Seigneur, il a été éclairé par celui qui est la lumière. Car il a été dit de Jean : « Il n’était pas la lumière ; mais il devait rendre témoignage à la lumière[1] ». En un sens on peut sans doute l’appeler lumière et on lui donne ce nom avec justice ; mais il était une lumière d’emprunt qui en reflétait une autre. Autre, en effet, est la lumière qui éclaire par elle-même et la lumière qui reçoit d’ailleurs son éclat ; ainsi nos yeux sont appelés lumière, et cependant ouvrez-les dans les ténèbres, ils ne verront rien. Au lieu que la lumière qui éclaire, c’est par sa nature qu’elle est lumière, elle s’éclaire elle-même, sans qu’une, autre vienne lui communiquer ses rayons, elle luit sans le secours d’aucune autre, et tous les autres êtres en ont besoin pour ne point rester dans les ténèbres.
2. Cette lumière, Jean l’a reconnue publiquement, vous le savez pour l’avoir entendu. Jésus réunissait autour de lui un grand nombre de disciples ; on vint dire à Jean comme pour l’aigrir, et lui inspirer de la jalousie : Voilà qu’il fait plus de disciples que toi. Mais Jean confessa ce qu’il était, et il mérita de lui appartenir en ne se faisant point audacieusement passer pour ce qu’était le Sauveur. Voici donc ce que dit Jean : « L’homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel ». Conséquemment, c’est le Christ qui donne, et l’homme qui reçoit. « Pour vous, vous me rendez vous-mêmes témoignage que j’ai dit : Je ne suis pas le Christ, seulement j’ai été envoyé devant lui. Celui qui a l’épouse est l’époux ; mais pour l’ami de l’époux qui se tient auprès de lui et l’écoute, il est ravi de joie à cause de la voix de l’époux[2] ». Ainsi Jean n’a pas pris en lui-même le sujet de sa joie. Car celui qui veut trouver en lui-même le sujet de sa joie, tombera dans la tristesse. Mais celui qui ne veut se réjouir que de Dieu sera toujours dans la joie, parce que Dieu est éternel. Ainsi faisait Jean. « L’ami de l’époux », dit-il, « se réjouit de la voix de l’époux », et non de la sienne propre, « et il se tient debout et l’écoute ». S’il tombe, il ne l’entend pas selon ce qui a été dit de celui qui est tombé, comme il a été dit du diable : « Il ne s’est pas tenu dans la vérité[3] ». Ces paroles s’appliquent au diable. L’ami de l’Époux doit donc se tenir debout et l’écouter. Qu’est-ce que se tenir debout ? Demeurer dans la grâce après l’avoir reçue. Et il écoute la voix de l’Époux qui doit le réjouir. Ainsi en était-il de Jean. Il savait d’où venait sa joie, et il ne s’arrogeait point les qualités qu’il n’avait pas. Il savait qu’il recevait la lumière, mais qu’il ne donnait point. Pour Jésus, « il était la lumière véritable qui », au dire de l’Évangéliste, « éclaire tout homme venant en ce monde [4] ». Tout homme ; par conséquent Jean comme les autres, puisqu’il était du nombre des hommes. À la vérité, parmi les enfants de la femme nul n’a paru plus grand que Jean [5] ; cependant il est du nombre de ceux qui sont nés de la femme. Peut-on le comparer avec celui qui est né parce qu’il l’a voulu et dont l’enfantement a été tout nouveau, parce que toute singulière a été sa naissance ? En effet, les deux naissances de Notre-Seigneur, sa naissance divine et sa naissance humaine, se sont accomplies en dehors de l’ordre accoutumé. Comme Dieu il n’a pas de mère, comme homme il n’a pas de père. Jean était donc un homme comme les autres, mais un homme tellement privilégié de la grâce, que, parmi les enfants nés de la femme, il n’en a paru aucun d’aussi grand que lui. Néanmoins il a rendu à Notre-Seigneur Jésus-Christ un témoignage si éclatant qu’il n’a pas craint de l’appeler l’époux et de s’en dire l’ami, et de déclarer qu’il était indigne de dénouer les cordons de ses souliers. Votre charité nous a maintes fois entendu parler sur ce sujet. Voyons donc ce qui suit : le sens m’en paraît assez difficile à saisir ; mais comme Jean lui-même a dit : « que l’homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel », tout ce que nous ne comprendrons pas, nous le demanderons à celui qui, du haut du ciel, nous départit tous ses dons. Nous ne sommes que des hommes, et nous ne pouvons rien recevoir à moins qu’il ne nous soit donné par celui qui n’est pas un homme.
3. Voici donc ce qui suit : Jean continue en ces termes : « Ma joie est accomplie ». Quelle est sa joie ? Celle que lui cause la voix de l’Époux. Elle est accomplie en moi, ce qu’il me faut de grâce est arrivé à son comble ; je ne prétends à rien de plus, dans la crainte de perdre ce que j’ai reçu. Quelle est donc

  1. Jn. 1, 8
  2. Jn. 3, 26-29
  3. Jn. 8, 44
  4. Jn. 1, 9
  5. Mt. 11, 11